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Lettre sur le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation
Envoyée aux parlementaires du Nord
jeudi 24 décembre 2015, par
Madame la Députée, [Monsieur le Député, Monsieur le Sénateur, Madame la Sénatrice,]
Le Parlement sera amené dans les prochaines semaines à examiner un projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation présenté hier au Conseil des ministres.
Le Conseil constitutionnel ayant récemment conforté la loi instituant l’état d’urgence, on peut déjà s’interroger sur l’opportunité de procéder à une telle révision de la Loi fondamentale alors que notre pays est formellement sous un régime d’exception. Toutefois, par ailleurs, le projet de révision comporte une disposition qui constitue une atteinte grave à l’idée que tout citoyen français doit se faire de la République.
En effet, la disposition visant à rendre possible la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français consacre le principe d’une division de la communauté nationale. Puisque tous, à commencer par le Conseil d’État, s’accordent à dire que l’efficacité d’une telle mesure serait à peu près nulle, tant d’un point de vue dissuasif que punitif, c’est bien sur le terrain des symboles et des principes que se place un tel projet.
Sur le plan des symboles, la logique sous-jacente au texte proposé est "de sanctionner les auteurs d’infractions si graves qu’ils ne méritent plus d’appartenir à la communauté nationale". Il n’est pas sûr qu’un tel objectif ne soit ni légitime, ni efficace. À celles et à ceux qui, Français de toujours, se retournent contre leur pays ne conviendrait-il pas plutôt de rappeler que leur nationalité française est une empreinte indélébile dont ils ne pourront jamais se défaire ? Ce symbole-là, qui veut que l’on n’échappe jamais à la France, même quand on la trahit, serait autrement plus fort.
Sur le plan des principes, comme vous le savez, le Conseil d’État considère que la disposition en question ne méconnaîtrait pas le principe d’égalité devant la loi puisque des mesures similaires s’appliquent déjà aux personnes ayant obtenu la nationalité française par acquisition. Toutefois, si l’on peut déjà s’interroger sur les fondements d’un tel raisonnement, il faut rappeler, avec le Conseil d’État, que la nationalité française représente dès la naissance un élément constitutif de la personne et que l’adoption de la disposition en question pourrait éventuellement contredire un principe fondamental de la République. L’extension des mesures de déchéance à des personnes nées françaises n’est pas tant un problème d’égalité devant la loi mais d’égalité des droits fondamentaux. Adoptée, elle consacrerait le fait qu’il existe des Français dont les droits fondamentaux seraient différents des autres.
Il convient à la Nation et à ses représentants de rappeler quels sont les principes qui la fondent. Si la République doit être intraitable avec celles et ceux qui la trahissent, en les frappant des peines prévues par la loi et, au besoin, d’indignité nationale, elle ne saurait le faire en reniant ses principes, à commencer par l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme qui dispose que "les hommes naissent libres et égaux en droit". Que la lutte impérieuse contre le terrorisme nous amène à mettre à mal un principe aussi fondamental - et pour ne pas dire sacré - serait, là encore, un terrible aveu de faiblesse et un ferment de division.
Aussi je vous invite à bien vouloir voter contre le projet de loi constitutionnelle tel qu’il a été annoncé.
Vous remerciant pour l’intérêt que vous accorderez à cette démarche, je vous prie d’agréer, Madame la Députée, [Monsieur le Député, Monsieur le Sénateur, Madame la Sénatrice,], l’expression de mes sentiments les plus républicains.
Gabriel Galvez-Behar