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Un besoin d’histoire pour comprendre le risque de Grexit

mardi 30 juin 2015, par GGB

Depuis l’annonce du référendum grec dans la nuit du 26 au 27 juin, les commentaires se multiplient pour attribuer la responsabilité de l’échec des négociations. En tant qu’historien, je sais qu’il est aussi fréquent qu’erroné de relire un enchaînement d’événements à partir de sa fin. Il me semble que c’est précisément ce que font certains négociateurs des créanciers de la Grèce lorsqu’ils déduisent de l’échec des négociations le fait qu’Alexis Tsipras n’ait jamais voulu négocié. Ce type de raisonnement est largement suspect et il serait bon que les journalistes ne le reprennent pas à leur compte mais cherchent plutôt à connaître les faits.

Expliquer ce qui s’est passé suppose de traiter toutes les parties de manière symétrique. Il n’y a pas de raison, a priori, que les négociateurs grecs aient plus d’arrières-pensées que les autres. Bref, une forme d’impartialité s’impose. Ainsi, si l’on pense que les uns sont de mauvaise foi, on peut penser que les autres le sont aussi. Et si l’on pense que A. Tsipras a voulu tendre un piège à ses interlocuteurs en appelant à un référendum, on peut aussi penser que le FMI, en renvoyant un texte des propositions grecques entièrement corrigé [1], a pris le risque de casser la négociation. Ne pourrait-on pas se demander si certains conservateurs européens ne cherchent pas à faire sortir la Grèce de la zone Euro voire de l’Europe, pour l’exemple ? N’auraient-ils pas eu intérêt, eux aussi, à agiter un chiffon rouge pour pousser la Grèce en dehors du jeu de la négociation ?
L’enjeu global, qui va au-delà de la dette grecque, c’est la politique économique européenne (chaque mot compte) et la nuit du 26 juin symbolise le rapport de forces qui s’établit autour de cet enjeu. Aussi faut-il le comprendre très précisément pour essayer de reconstruire ce champ de forces et pour trancher certaines interprétations concurrentes. Ainsi, pour ma part, je serais curieux de connaître la chronologie précise des événements pour répondre à certaines questions :

 Comment s’est concrètement déroulé le jeu des propositions et des contre-propositions la semaine dernière ? Le document "corrigé en rouge" du 24 juin a-t-il été assorti de commentaires (comme le laisse penser le document) ? La proposition des créanciers du 25 juin a-t-elle été présentée comme un "take it or leave it" à la Grèce ? Publier le texte des propositions, c’est bien. Connaître leur paratexte, c’est mieux.
 Comment Angela Merkel et François Hollande ont-ils réagi lorsqu’ils ont été avertis par Tsipras de son intention de recourir au référendum ? Ont-ils tenté d’infléchir sa décision ?
 Qui a décidé d’interrompre les négociations ? Les Grecs ont-ils dits que le recours au referendum mettait fin de de facto aux négociations ? Est-ce, au contraire, le président de l’Eurogroupe qui a interprété ainsi la décision grecque ?
 Comment les négociations ont-elles été rompues le 27 juin ? Les Grecs ont-ils explicitement dits que leur décision du référendum ?

Seul un récit précis et impartial de ce qui s’est passé la semaine dernière permettra de reconstituer l’horizon d’attente des uns et des autres. Comprendre les raisons de cet échec, c’est bien que l’on doit aux citoyens européens. Et comme souvent, cela passe par une enquête.


[1La mention du "crayon rouge" semble être une métaphore désolante dont les journalistes sérieux devraient se garder.