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Sur le 81e congrès du Parti socialiste
dimanche 11 mai 2025, par
La richesse des textes d’orientation [1], des contributions générales et, surtout, les quelque 350 contributions thématiques préparatoires au 81e congrès du Parti socialiste témoigne d’une vitalité que l’on aurait bien tort d’occulter. Elle reflète aussi l’urgence du moment que chaque texte décrit gravement voire de manière plus ou moins angoissée. La « contamination du monde », l’affaiblissement des démocraties et l’ébranlement de l’ordre international sont autant de menaces profondes qui déstabilisent nos sociétés depuis une génération au moins mais se manifestent désormais par des crises toujours plus aiguës, qu’il s’agisse des catastrophes environnementales, des multiples victoires réactionnaires ou des guerres avec leur cortège de victimes. Face à cette situation de péril imminent, aucune tendance du parti ne se laisse aller à l’aveuglement ou au renoncement. Toutes portent en elles cet optimisme de la volonté qui a toujours caractérisé le socialisme, même dans les heures les plus sombres.
Quelle doctrine face à l’urgence ?
Les trois textes d’orientation veulent répondre à cette urgence sur le fond. Le texte A souhaite que le congrès soit l’occasion d’une « réaffirmation de nos valeurs » et d’une « refonte du projet socialiste » [2] afin de porter « une vision qui offre une perspective » [3]. Le TOB entend mettre « la question doctrinale et programmatique au centre de tout » [4] tandis que le TOC invite le parti à une « refonte complète de son appareil idéologique » [5]. Le 81e congrès s’annonce donc bien comme un congrès de doctrine et de projet.
Pourtant, la lecture des textes d’orientation ne fait que confirmer ce que celle des contributions générales laissait déjà pressentir : le projet prend le pas sur la doctrine. Peut-être est-ce là une mauvaise compréhension de lecteur néophyte mais les textes d’orientation donnent le sentiment d’empiler des propositions, certes justes et bien souvent convergentes, mais sans réelle hiérarchie ni véritable évaluation de leur priorité voire de leur coût. Si la convergence de bon nombre de propositions est plutôt bon signe ₋ car elle est un gage d’unité, la faiblesse des éléments doctrinaux est d’autant plus problématique qu’elle nourrit une ambiguïté susceptible d’être préjudiciable au projet lui-même. On peut d’ailleurs regretter que le congrès ne puisse pas aboutir à un texte commun sans lequel ces ambiguïtés risquent d’être reconduites.
Cette faiblesse doctrinale est particulièrement perceptible en ce qui concerne la définition de « l’alliance de classes » à laquelle appellent plusieurs textes. Tous les textes se retrouvent dans une défense du travail et des travailleurs. Le TOA plaide pour « une alliance de classes, avec l’émancipation des travailleurs au coeur [du] projet » [6]. Le TOB prétend adresser son projet « à celles et à ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre » [7] tandis que le TOC rappelle que « dans la confrontation capital-travail qui structure nos économies et nos sociétés, les socio-démocrates (sic) sont du côté des travailleurs, des chômeurs, des retraités » [8].
Une doctrine doit définir pour qui et pour quoi se battent ceux qui la défendent ; elle doit désigner ceux qu’ils combattent et ce contre quoi ils combattent. Si le TOA vise les « oligarchies » [9], le TOB les « féodalités » [10], le TOC désigne prioritairement ₋ comme tous les autres textes ₋ l’extrême-droite et ses alliés idéologiques. Face à ces adversaires voire à ces « ennemis de la liberté » [11], les textes proposent une « alliance de classes », notion énoncée explicitement dans les TOA [12] et TOC [13] et implicitement dans le TOB [14]. Toutefois, derrière le syntagme se loge une ambiguïté que le congrès devrait lever.
À cet égard, les choses sont moins nettes dans le TOC. La « nouvelle alliance de classes » que ce texte appelle de ses vœux doit, en effet, permettre au « socialisme populaire et républicain » de « reconstruire un contrat générationnel » et de « réunir les sociologies éclatées, rassemblant tous les travailleurs, les territoires, les centres urbains, les banlieues, les campagnes, les Outre-mer » [15]. On peut comprendre et même partager l’idée de rassembler une société fracturée. On doit cependant être clair sur la nature de cette alliance au risque d’être paralysé quand viendra le moment de prendre des décisions qui heurteront inévitablement des intérêts. La contribution générale d’Hélène Geoffroy avait au moins le mérite de la clarté quand elle réclamait « un Front de classe rassemblement des classes populaires, des classes moyennes, des classes aisées, la réunion des territoires, les centres urbains, les quartiers populaires, les zones rurales et les Outre-mer. » [16]. Est-ce là l’extension de la « nouvelle alliance de classes » ? Est-on sûr qu’elle résisterait à certaines réformes économiques ou fiscales ? En tous les cas, la doctrine et encore plus l’appareil idéologique du parti, devraient être clairs sur ce qui doit constituer sa base.
Les trois textes se donnent certes pour objectif de « retrouver le peuple », de lui « redonner sa voix », de construire « un socialisme populaire ». Mais comment oublier que le peuple reste « introuvable », pour reprendre l’expression de Pierre Rosanvallon, si l’on ne parvient pas en même temps à rétablir toute la force de la volonté politique ? Or, c’est bien dans cette brèche que se sont engouffrés les populismes qui, eux aussi, prétendent en appeler aux peuples pour leur rendre soi-disant la maîtrise de leurs destins. Le populisme réussit là une synthèse improbable mais séduisante : la dictature [17] qu’il cherche à mettre en place est rendue possible à la fois par le vote populaire ₋ qui lui donne une légitimité démocratique factice ₋ et par des réflexes consuméristes ₋ puisque le citoyen-consommateur s’abandonne à celui qu’il a désigné pour profiter du bien-être que ce dernier prétend lui garantir.
La voie d’empowerment du socialisme est autrement plus exigeante et difficile. Outre qu’elle suppose d’être bien appliquée au sein du parti, elle conduit à inventer un nouveau civisme. Pour qu’il y ait un peuple, il faut d’abord qu’il y ait des citoyen.ne.s. Aussi les développements sur la démocratie féministe, largement partagés par les trois textes, sont-ils les plus encourageants car ils allient clairement valeurs, objectifs politiques et leviers de combat. Ceux sur l’universalité, surtout présent dans les TOB et C, sont en revanche plus équivoques et problématiques.
Faire appel à l’universalisme des Lumières est sans doute une démarche rassurante pour qui veut défendre les valeurs de notre devise républicaine. Mais un « congrès de doctrine » cherchant une « refonte complète de son appareil idéologique » ne devrait pas hésiter à chercher la vérité et à la dire. Après tout, faire preuve d’esprit critique vis-à-vis des Lumières elles-mêmes n’est-ce pas le meilleur hommage à leur rendre ? Or force est de reconnaître que les Lumières ne furent pas un bloc et qu’elles se caractérisèrent par une profonde ambivalence, alliant, par exemple, une intensification des traites esclavagistes à celle de leur dénonciation.
Il n’est pas seulement question ici de philosophie ou d’histoire mais bien de politique. De quel universalisme parle-t-on quand on invoque l’universalisme des Lumières ? Poser cette question n’est pas une manière d’invalider tout son héritage mais bien de dépasser ses contradictions pour faire vivre ce que nous y trouvons de plus noble et de plus utile face aux périls du moment. Or ce dépassement nécessite bien d’équilibrer à l’actif ce que l’on aura inscrit au passif sans quoi on se contentera d’un universalisme galvaudé et caduc.
Inventer un nouvel universalisme qui fasse sa place aux traumatismes mémoriels plutôt que de les refouler, telle est la tâche. À cet égard, « lutter contre la concurrence des mémoires » [18] est un objectif bien périlleux : les mémoires s’opposent d’autant plus volontiers qu’elles ne disposent d’aucun espace commun où s’entendre. Va-t-on les contraindre à se taire toutes ou n’en privilégier que quelques-unes, au motif que certaines seraient plus proches que d’autres d’un universel décidément bien particulier ? L’universalisme à défendre devrait déjà être un universalisme de l’écoute.
Questions de tactique
Ces clarifications doctrinales sont d’autant plus importantes que ce congrès comportera d’importantes considérations tactiques pour les prochaines échéances électorales. Lorsque ces dernières adviendront ₋ et elles peuvent advenir à tout moment à partir du mois de juillet ₋, il ne sera plus temps de camoufler les hésitations. Le Parti socialiste est un parti-charnière qui cherche à conquérir et à exercer démocratiquement le pouvoir - n’ayons pas peur du mot - pour en finir radicalement avec les systèmes d’exploitation et de prédation. Parti-charnière, toute son histoire le rappelle puisque la conquête et l’exercice du pouvoir supposent une triple unité : unité du parti, unité de la gauche, unité d’une majorité de Françaises et de Français. Sans lui, les forces progressistes sont condamnées à l’impuissance ou au reniement.
Les débats tactiques consistent à savoir comment ordonner dans le temps les alliances pour qu’elles puissent mener à la victoire. À qui d’abord s’allier pour que cette alliance parvienne au second tour et s’impose ensuite grâce à la discipline républicaine ? Pour résoudre cette équation subtile et peut-être dépassée, vu l’état de la dite discipline, on ne peut s’empêcher de se rappeler que le Front républicain n’a guère pu compter sur la fermeté du centre, dont la politique ne cesse de donner des gages à ceux que tous les textes d’orientation désignent comme l’adversaire principal voire l’ennemi.
L’autre élément tactique - qui est aussi un élément de doctrine - porte sur la radicalité du combat socialiste. Les TOA et B portent une « exigence de radicalité », moins nette dans le TOC. Par ailleurs, il a été fait plusieurs fois mention du fait que notre parti devait porter une « radicalité tranquille » (pour reprendre la formule de Pierre Jouvet que l’on retrouvait toutefois sous la plume de Marcel Gauchet pour désigner... le néolibéralisme). Son exigence découle à la fois de la profondeur des obstacles que le parti veut enrayer et de sa tout aussi profonde aspiration démocratique. Cette question récurrente dans l’histoire du socialisme se repose aujourd’hui alors que s’affirment partout des formes de radicalités arbitraires et antidémocratiques. Elle est d’autant plus urgente que l’État de droit semble affaibli et que son efficacité ne cesse d’être mise en doute. Elle l’est aussi puisque l’appel « au bruit et à la fureur » constitue une tentation d’autant plus forte que la gravité des périls semble pouvoir justifier de conquérir et d’exercer le pouvoir en jouant des tensions voire en les orchestrant.
À côté de cela, la radicalité pacifique peut apparaître bien tiède s’il n’est pas fait une double démonstration. La première est la plus simple. Elle consiste à rappeler que l’orgueilleuse stratégie de la tension a pu mener bien des fois à des dictatures aussi réactionnaires que durables. Le bruit et la fureur font souvent advenir le pire. La seconde démonstration est plus complexe car elle doit convaincre que nous connaissons les leviers pour soulever tranquillement certains obstacles. Quelle est la voie démocratique pour enrayer le processus de « contamination du monde » ? Quel est le sentier réformiste pour mettre fin l’accumulation inégalitaire des richesses ? Comment pacifiquement mais radicalement revivifier notre démocratie ?
La réponse tient peut-être dans la hiérarchisation des mesures contenues dans les différents textes d’orientation. Une doctrine claire s’accompagne de mesures claires, dont certaines sont prioritaires et emblématiques parce qu’elles se veulent irréversibles. Nous avons tous en mémoire les décisions majeures du Front populaire et des différents gouvernements de gauche. Il nous faut donc faire ressortir les mesures qui seront les clefs-de-voûte de la doctrine socialiste et qui seront bien à la hauteur de ses aspirations radicalement émancipatrices. Ces dernières puiseront alors leur force à la source du suffrage universel et au consentement de citoyennes et de citoyens, pleinement convaincus, et non pas contraints par des jeux tactiques qui les désespèrent. Grâce à cet effort de conviction et à ce soutien consenti à des mesures fortes assises sur une doctrine sans concession, la radicalité de notre parti pourra se conformer à son idéal démocratique.
[1] On désigne par TO les textes d’orientation. Ils peuvent être retrouvés en ligne sur le site du Parti socialiste
[2] TOA, p. 3
[3] TOA, p. 2
[4] TOB, p. 13
[5] TOC, p. 8
[6] TOA, p. 4
[7] TOB, p. 3
[8] TOC, p. 5
[9] TOA, p. 3
[10] TOB, p. 4
[11] TOB, p. 11
[12] p. 4
[13] p. 8
[14] p. 5
[15] TOC, p. 8
[16] Contribution générale, Pour Gagner, p. 3
[17] Selon le Trésor de la langue française une dictature est un « régime politique dans lequel le pouvoir est entre les mains d’un seul homme ou d’un groupe restreint qui en use de manière discrétionnaire »
[18] TOC, p. 8