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« Si j’étais président, de l’établissement public... »
Faire l’Université
Contribution à une campagne
vendredi 5 novembre 2021, par
Le défi principal du futur établissement expérimental sera d’être une université sans plus en avoir le statut [1], en regroupant des composantes hétérogènes avec des écoles qui ne le sont pas moins tout en cherchant à conserver les moyens de l’ISITE. Un tel défi n’est pas simple car il s’impose dans un double contexte : celui de l’ordonnance de 2018 sur les établissements publics expérimentaux, qui est sans doute la plus importante depuis 1968, et celui d’une fragilisation globale des universités à l’échelle du monde et dont l’explosion de la dette étudiante aux États-Unis est sans doute l’un des symptômes les plus marquants. Un autre élément de déstabilisation réside dans la tension, toujours présente mais peut-être accrue ces derniers temps, entre deux missions assignées à l’Université : former à la recherche par la recherche - dans une tradition un peu mythifiée de l’université humboldtienne -, d’une part, former au « prêt-à-l’emploi » de l’autre. Cette tension a toujours existé à l’université, elle lui est sans doute consubstantielle mais elle doit toujours être dépassée grâce à un projet clair par lequel l’Université se réinvente et évite tout conflit des facultés délétère.
L’Université au pied du mur
Il ne suffit pas, en effet, de se rassembler derrière une bannière « Université » pour en constituer une. En cette matière comme dans d’autres, le naming est un nominalisme inconséquent. Avant de prétendre former une communauté, il n’est pas inutile de connaître les différences des éléments qui sont censés la constituer. Dans son périmètre actuel l’Université de Lille rassemble déjà des entités hétérogènes, qu’il s’agisse d’unités de formation et de recherche (parfois rebaptisées « facultés ») ou d’écoles internes. Demain, cette hétérogénéité sera renforcée avec la présence d’une école ayant un statut associatif (l’École supérieure de journalisme), d’un établissement public administratif (Sciences Po Lille), d’une école d’architecture (l’ENSAPL) et d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (l’ENSAIT). Ces écoles sont amenées à conserver leur personnalité morale et juridique (la fameuse PMJ) et bénéficieront d’un droit de sortie de l’EPE qui est de facto retiré à l’université actuelle.
À cette hétérogénéité institutionnelle s’ajoute une hétérogénéité économique et sociale qui résulte de la fusion des trois universités lilloises. Pour ma part, c’est une réalité que je pointe depuis assez longtemps (voir notamment là et là). Mieux vaut quelques graphiques que de longs discours. Ces derniers reposent sur les données des tableaux de bord utilisés pour le dialogue de gestion menés au printemps 2020. Cela explique la présence de certaines composantes qui n’avaient pas encore fusionné avec d’autres.


Globalement, ces disparités sont connues depuis 2018. Elles résultent en fait des différences fondamentales qui caractérisait la situation économique des trois universités lilloises avant la fusion. Elles-mêmes découlent d’un héritage dû à la différence de statut des disciplines dans les différents modèles d’attribution des moyens par le ministère (San Remo puis Sympa puis plus rien du tout) et aussi aux différences institutionnelles évoquées plus haut : les IUT ou les écoles d’ingénieurs, fussent-elles internes, ont de facto un statut économique différent, notamment grâce au poids des ressources propres. Il n’en demeure pas moins que, dans sa situation actuelle, l’Université de Lille est le terrain de fortes inégalités entre composantes.
Il faut bien comprendre l’enjeu de telles différences. Certes, ces écarts sont pour partie explicables. Certaines composantes gèrent leurs bâtiments, d’autre pas. Par ailleurs, on peut comprendre, en effet, que certaines disciplines expérimentales nécessitent plus de personnels techniques que d’autres. Toutefois, ces distinctions si évidentes ne sont-elles pas d’un autre âge ? Pourquoi une formation en physique nécessiterait-elle plus de moyens qu’une formation en arts où la dimension pratique est tout aussi importante ? Pourquoi un master sur les métiers de l’édition aurait-il un encadrement moins important qu’une formation en biologie ? La distinction expérimental/non-expérimental a sensiblement bougé depuis plusieurs décennies. N’est-il pas temps de l’admettre et d’en tirer les conséquences plutôt que de conserver des rentes disciplinaires ?
En effet, l’ordre de grandeur de ces inégalités les rend pour partie incompréhensibles et donc illégitimes. Qu’il ait fallu réunir un groupe de travail la dernière année du mandat pour en convenir est sans doute une bonne illustration du « mieux vaut tard que jamais ». Une telle démarche était d’autant plus nécessaire que ces inégalités sont insupportables. En effet, il est tout de même difficile d’admettre que les composantes les plus mal dotées soient précisément celles où le taux de boursiers est le plus important vis-à-vis des étudiant.e.s. Il y a là un principe qui s’apparente à une forme de discrimination indirecte. Mais la situation n’est pas meilleure pour les personnels, enseignants comme administratifs, qui n’ont pas les mêmes conditions de travail qui s’avèrent, dans certains cas, tout bonnement intenables.
L’Université de Lille est donc mise au pied du mur. Tous les discours sur la « grande et belle université », sur le modèle « Solex » (Solidarité et Excellence) ou sur l’action sociale de l’établissement se heurteront à cette question bien simple : sommes-nous sûrs de donner et de vouloir donner les mêmes chances à chacun.e de nos étudiant.e.s et à chacun.e de nos personnels ?
Bien entendu, ce problème est difficile à résoudre car c’est en dizaine de postes que se chiffrent les transferts nécessaires non pas pour faire disparaître les inégalités (une logique égalitariste n’est pas ce que l’on réclame) mais pour réduire celles qui s’avèrent inadmissibles. Une des solutions est d’attendre que les tutelles nous donnent les moyens supplémentaires. Ce serait une curieuse conception de la solidarité qui demanderait à celles et ceux qui connaissent les conditions les plus difficiles de se montrer plus solidaires que les autres en faisant preuve de patience... L’autre solution est donc bien de commencer à traiter le problème dès maintenant, même si sa résolution s’avère longue et incertaine : c’est le meilleur moyen de montrer aux étudiant.e.s et aux personnels concernés toute la considération qu’ils/elles sont en droit d’attendre. C’est le seul moyen de créer la communauté que doit constituer une université.
Le temps me manque pour compléter ce trop long billet mais j’ajouterai deux mots sur cette question.
Une autre manière d’éprouver nos belles intentions solidaires et la réalité du projet d’établissement public expérimental est de créer des liens entre écoles et composantes qui profitent à toutes les étudiantes et à tous les étudiants. La collaboration ne soit pas se faire seulement sur un segment élitiste, au sein de programmes gradués, par exemple. La question de formations communes doit être posée sur l’ensemble du LMD afin de permettre aux étudiantes et aux étudiants de mieux se connaître et de mieux se fréquenter, afin d’en finir avec l’entre-soi des uns et les complexes des autres. On pourrait aussi imaginer que les problématiques d’insertion professionnelle soit abordées de manière conjointe par les écoles et les composantes.
[1] Cela dit, il n’est pas nécessaire de fétichiser le statut hérité de la loi Edgar Faure pour être une université.