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Vers l’Université de Lille : le défi d’une université complète
mardi 28 mars 2017, par
Vendredi 24 mars, les conseils d’administration des universités Lille 1, Lille 2 et Lille 3 ont voté en faveur d’une fusion et ont adopté les statuts de la future Université de Lille. Si tout se passe bien - c’est à dire si le décret de fusion est rapidement pris -, l’Université de Lille sera recréée près d’un demi-siècle après sa disparition.
À peine ce vote obtenu, une dépêche de l’agence de presse News Tank a indiqué que deux présidents des universités lilloises étaient intéressés par une éventuelle candidature, la présidente de la troisième université jugeant la question prématurée. Cette question est sans doute prématurée mais elle est dorénavant posée. Elle impose de ce pencher rapidement sur le projet concret de l’Université de Lille.
Dans les neuf mois qui nous séparent de l’entrée en vigueur de la fusion, l’enjeu électoral va devenir de plus en plus important et il est plus que probable que certains préparent dès maintenant ces échéances. Il ne serait pas inutile de rappeler à ces derniers que, dans l’université idéale que nous appelons tous de nos vœux, le temps du projet doit normalement précéder celui des candidatures.
La recréation de l’Université de Lille est certes préparée de longue date. Il n’en demeure pas moins que le processus doit encore préciser certains points d’autant plus essentiels que nous entrerons aussi dans la phase de préparation de notre prochain quinquennal.
Pour le moment, quatre point se dégagent selon moi.
Le défi d’une université complète
L’un des grands apports de l’Université de Lille est de recréer une université complète avec un spectre disciplinaire élargi, allant des arts à la chimie en passant par l’histoire et l’informatique. Les effets positifs de cet élargissement résident dans la promotion de l’interdisciplinarité et surtout dans l’acculturation des disciplines entre elles. Ayant récemment participé à un comité d’expertise interdisciplinaire, je peux témoigner du caractère franchement positif du dialogue avec mes collègues chimistes ou physiciens. À travers les discussions que nous avons eues, nous avons confronté nos propres conceptions de l’évaluation et, pour tout dire, de la science qui sont plus proches qu’on aurait pu le penser. Pour le dire autrement, la situation d’interdépendance que crée l’université complète peut permettre de faire évoluer le regard que nous avons les uns sur les autres voire les pratiques de chacun.
Encore faut-il qu’il n’existe pas de déséquilibres structurels qui viennent biaiser la discussion. Lors des débats sur les statuts de la prochaine Université de Lille, la question de la représentation des secteurs Droit-Économie et Gestion et Sciences humaines et sociales a été source de frictions, certains collègues n’acceptant pas que ces secteurs soient sous-représentés par rapport à d’autres au sein de la future Commission recherche du prochain Conseil académique. Personnellement, j’ai jugé que le différentiel (une voix d’écart pour chacun de ces deux secteurs) était acceptable dans la mesure où il ne remettait pas en question le principe d’interdépendance évoqué plus haut.
En fait, la question de l’équilibre entre les secteurs disciplinaires n’est pas tant une question de voix dans les conseils que de budget et, surtout, d’ambition. Il est nécessaire que le projet de la future Université de Lille affiche clairement cette dernière pour chacun des domaines disciplinaires. Dans le domaine des SHS que je connais, cela passe, par exemple, par la remise en cause du dogme sur lequel ont toujours reposés les différents modèles d’allocation des moyens : la sur-pondération des taux d’encadrement de certains secteurs par rapport au secteur lettres et sciences humaines (pas seulement en termes d’enseignants par étudiant mais aussi en termes de personnels administratifs et techniques). Un tel débat est tout à fait délicat à traiter et le meilleur moyen de plomber la future Université serait sans doute de promettre un grand soir de l’offre de formation qui est le lieu où se dénoue - ou pas - cette question. D’un autre côté, le statu quo qui reposerait sur le principe selon lequel les lettres et les sciences humaines auraient, par nature, des besoins moindres que les autres secteurs disciplinaires ne serait pas acceptable non plus.
Cette question ne se réduit pas à celle de la place des « pauvres » SHS face aux opulentes « sciences dures ». D’une part, les sciences humaines et sociales n’ont rien à gagner à porter en étendard leur complexe d’infériorité (qui renvoie souvent implicitement à un complexe de supériorité inconscient de la haute culture désintéressée par rapport à la technologie bassement matérielle). D’autre part, certaines disciplines du secteur « sciences et technologies » ou du secteur « santé » connaissent aussi des problèmes de sous-encadrement parfois plus marqués que certaines sciences humaines et sociales. Ajoutons que la question des disciplines rares ne concerne pas uniquement les SHS car certaines disciplines des autres secteurs sont aussi très fortement fragilisées. Enfin, la situation de pénurie à laquelle l’I-SITE ne pourra répondre que partiellement nous frappe tous. Il faut donc un constat précis et sans œillère sur l’état de notre offre de formation et sur son évolution afin de mener un débat qui engage toute notre future université.
Le problème des équilibres disciplinaires ne concerne pas uniquement les taux d’encadrement et les recrutements qui en dépendent. Les investissements et les infrastructures sont aussi essentiels. À cet égard, il faut reconnaître que le secteur SHS est toujours victime du résultat médiocre obtenu lors du plan Campus de 2008, ce qui explique en partie qu’il attende toujours son learning center indispensable à la rénovation de la bibliothèque du campus Pont de Bois. À l’heure où l’IEP Lille s’installe dans les locaux flambants neufs de l’ancienne Faculté des Lettres de Lille, il serait bon de ne pas oublier les infrastructures indispensables à des enseignements et à une recherche rénovés en SHS. Là aussi, il faudra que les candidats affichent - et chiffrent - leurs ambitions en se débarrassant des préjugés selon lesquels certains secteurs disciplinaires auraient, par nature, des besoins en infrastructures plus modestes que les autres.
Le défi d’une université complète est ainsi de recréer un équilibre disciplinaire en remettant beaucoup de choses à plat. Un tel débat impose aussi une réflexion sur ce qu’est une discipline, sur son évolution et sur la notion même d’interdisciplinarité. Il est ainsi très frappant que l’on demande de plus en plus aux SHS de s’engager dans des projets que l’on appelait naguère « intersectoriels » (SHS-Santé, SHS-Informatique, SHS-Physique, etc) alors que chez nos collègues des autres secteurs on se satisfait largement d’une interdisciplinarité entre des biologistes et des biochimistes, par exemple. En somme, l’Université de Lille doit répondre concrètement au vieux problème de l’unité de la science. Je ne doute pas que les futurs candidats y apporteront des réponses aussi intelligentes que convaincantes.
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