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L’enseignement supérieur et la recherche méritent mieux que des coups politiques sans lendemain

Retour sur une suppression virtuelle

dimanche 13 avril 2025, par GGB

Depuis le 9 avril, l’Assemblée nationale examine le projet de loi pour la simplification de la vie économique. À cette occasion, elle a adopté une disposition, absente du projet initial mais ajoutée en commission, supprimant le Haut conseil de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche (HCERES). Si la loi était adoptée par l’Assemblée et la disposition maintenue par la Commission mixte paritaire, il serait mis fin aux activités de cette autorité administrative indépendante chargée notamment d’évaluer les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, leurs formations et leurs unités de recherche.

Évaluer l’évaluateur

Si l’association des dirigeants des établissements d’enseignement supérieur public (France Université) s’est émue d’une telle perspective, rares sont ceux qui, dans la communauté académique, se sont mobilisés pour défendre cette institution devenue le symbole du néo-management du secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur. En fait, les arguments de fond en faveur de cette institution peinent à convaincre.

Faire de l’indépendance statutaire du HCERES le rempart des libertés académiques prête à sourire quand on se rappelle la nomination à sa tête d’un ancien conseiller à la Présidence de la République en octobre 2020. À dire vrai, un tel mélange des genres avait déjà eu lieu en 2007 avec l’ancêtre du HCERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) : l’ancien directeur général de l’enseignement supérieur avait été nommé à la tête de l’Agence, avant de partir à Matignon comme conseiller quelques mois plus tard. De tels épisodes, qui ne résument certes pas leur histoire, ont suscité une méfiance forte de la communauté académique à l’endroit d’instances d’évaluation jugées proches du pouvoir. Il ne suffit pas d’être juridiquement indépendant pour faire la preuve de son indépendance.

Cette méfiance est redoublée par un sentiment d’agacement face à la lourdeur bureaucratique des procédures d’évaluation elles-mêmes. La phase interne de préparation de l’évaluation dans un établissement dure une année. Elle est faite de réunions nombreuses, de documents à produire et de tableurs à renseigner. Tous les cinq ans, elle mobilise des responsables de formation, des chercheuses et des chercheurs et des équipes présidentielles alors même que les ressources humaines se font rares. Quant à la phase d’évaluation, entre le dépôt dossier et le retour des rapports, elle dure environ six mois avec son lot de visites, de réunions ou de contre-rapports. En 2012, l’AERES suscitait déjà le mécontentement de la communauté académique. Treize en plus tard, le même sentiment prévaut avec le HCERES.

Ce mécontentement s’est récemment cristallisé en colère franche lorsque le HCERES a délivré des avis défavorables, certes provisoires, pour plus de 25% des formations évaluées. Alors que le HCERES se targue de recourir au jugement des pairs, ces évaluations n’ont tenu compte ni du niveau de dénuement structurel des universités que subissent les collègues, ni de la réalité sociologique de certaines filières, ni de leurs spécificités disciplinaires. Faute de procéder à une telle remise en contexte, ces avis défavorables ont constitué une remise en cause de l’activité des enseignants qui animent ces formations, désormais fragilisées dans un contexte de pénurie qui conduit les établissements à réduire leurs enseignements. Le doute sur la réécriture de certains rapports a achevé de nourrir un sentiment de trahison et d’exaspération qui explique largement le succès des mobilisations diverses contre le HCERES.

Certes, sur le terrain, les rapports du HCERES peuvent servir dans les négociations sur l’avenir de certaines formations ou de certaines unités de recherche. Les visites, quand elles ont lieu, peuvent parfois faire apparaître des problèmes qui resteraient sinon sous silence - à propos des personnels administratifs ou des doctorants, notamment, qui ont une position hiérarchique plus fragile. Malgré cela, le HCERES n’a pas fait la preuve de son utilité alors même que sa création en 2013 devait constituer un nouveau départ à l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. L’enchaînement de réformes, qui reposent plus sur des présupposés idéologiques que sur une appréciation objective des précédentes, n’a pas aidé à convaincre et les récents engagements de la toute nouvelle présidente du HCERES n’ont pas permis de faire oublier tout ce passif.

Un coup d’épée dans l’eau

Fallait-il pour autant rayer d’un trait de plume toute une section du Code de la Recherche sur la base d’un amendement adopté en commission, certes confirmé par la représentation nationale, mais sans consultation préalable des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, à commencer par les représentants de ses personnels ? C’est une drôle de conception du respect de la liberté académique qui conduit à se féliciter de la disparition d’une institution de l’enseignement supérieur et de la recherche décidée au gré des rapports de force du moment dans l’hémicycle. Si demain une majorité de rencontre décidait de supprimer le Conseil national des universités ou le Comité national de la recherche scientifique de la même manière, il ne faudrait pas se plaindre d’une inacceptable incursion du politique dans la sphère académique.

Le HCERES est certes devenu le symbole du néo-management de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ses évaluations, censées être faites par des "pairs", sont d’autant plus inaudibles que les problèmes structurels de l’enseignement supérieur ne sont jamais résolus. Pour autant, sa suppression, si elle a lieu, va-t-elle permettre d’en finir avec le recours excessif aux vacataires ? Va-t-elle permettre le recrutement massif de personnels titulaires ? Va-t-elle rendre possible un financement à la hauteur des besoins et une répartition des ressources claire et transparente ? Il y a lieu d’en douter puisque cette chronique d’une mort espérée par certains ne s’accompagne ni d’un projet alternatif, ni du travail politique que nécessiterait sa réalisation.

Cette prétendue victoire contre ce qui a été présenté avec outrance comme "une police des savoirs" aura certes permis de faire un coup politique. Au mieux, elle accouchera d’une souris et, au pire, elle laissera la main à l’alliance conservatrice-réactionnaire pour inventer quelque chose de pire. Rappelons qu’il a fallu l’appoint de l’extrême-droite pour obtenir le maintien de cette suppression. Les parlementaires de gauche favorables à la suppression du HCERES seront-ils d’ailleurs cohérents avec eux-mêmes en votant une loi qu’ils combattent par ailleurs tant elle s’apparente à un concours Lépine d’inventions dérégulatrices ?

Mettre la liberté académique au cœur d’une réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche

Une autorité administrative indépendante comme le HCERES pourrait pourtant jouer un rôle essentiel dans une réforme en profondeur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Elle ne devrait pas avoir pour objet prioritaire de juger des performances des "opérateurs" du secteur mais de veiller au respect de la liberté académique et d’en évaluer la mise en œuvre. Bien entendu, cela supposerait que la liberté académique fasse l’objet d’une définition juridique claire voire d’une reconnaissance constitutionnelle. Vu ce qu’il se passe aux États-Unis, on mesure une telle urgence.

Assise sur ces nouvelles bases, cette autorité pourrait s’assurer que les libertés académiques - la liberté de chercher, la liberté d’enseigner, la liberté d’apprendre - sont biens garanties dans les établissements, que ce soit grâce à la collégialité des décisions qui en relèvent ou grâce à la mise à disposition de moyens. Bien entendu, les usages de ces libertés seraient également évaluées tant il est vrai que les libertés académiques ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas. Le cadre de l’évaluation serait ainsi profondément modifié puisqu’il ne s’agirait plus de vérifier comment la communauté académique répond à des attentes qui sont souvent exogènes mais comment elle conserve sa singularité, en répondant à de telles attentes mais à ses propres conditions. Enfin, cette autorité pourrait être saisie, en cas d’entrave aux libertés académiques, à l’instar du Défenseur des droits. Tout cela supposerait que cette instance soit pleinement collégiale.

Une telle réforme, toutes celles que requiert un aggiornamento de l’enseignement supérieur et de la recherche, nécessiterait une mobilisation franche et massive de la communauté académique. Sa récente participation en France au mouvement Stand up for Science, cristallisée par les attaques frontales de l’administration Trump contre la science états-unienne, incite à l’optimisme. Toutefois, d’autres signes sont plus inquiétants. Alors que l’on comptait 48000 inscrits aux élections du Conseil national des universités de 2023, seuls 24907 d’entre eux ont effectivement voté (soit un taux de participation de 52%). Aux élections du CNESER la même année, le taux de participation oscillait entre 17% pour le collège des chercheurs et 24% environ pour les enseignants-chercheurs. En 2022, la participation aux élections du comité social d’administration ministériel de l’enseignement supérieur et de la recherche n’atteignait pas 20%. Cette désertion des instances représentatives ouvre un boulevard aux réformes délétères. Pour reposer les bases d’un enseignement supérieur et d’une recherche conformes à un idéal démocratique, émancipateur et éclairé, les universitaires et les chercheurs doivent réinvestir les instances de leurs établissements, les collectifs, les syndicats et les partis politiques. Ils ne doivent pas se laisser aller à des coups sans lendemain.