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En finir avec le triple échec de l’Université

Réhabiliter la pédagogie universitaire

dimanche 14 mai 2017, par GGB

L’ambition de l’université, c’est une belle idée : apprendre à chercher, à construire, à transmettre. Montrer aux étudiant-e-s comment créer de nouvelles connaissances, de nouvelles manières de voir et, peut-être, de nouvelles manières d’agir, c’est un peu l’idéal qui m’a fait entrer dans ce métier et qui m’y fera, je l’espère, rester en dépit de toutes les déceptions. L’émancipation par le savoir - un savoir vivant - reste un programme toujours neuf, surtout en ce moment.

 Le mur de copies et le triple échec de l’Université

Pour moi, cette ambition vient malheureusement se fracasser régulièrement sur le mur des copies d’examen. Leur correction est bien souvent une épreuve. Parfois, certes, émergent des travaux qui correspondent à l’idée que je me fais des exigences universitaires. Ceux-là sont moins rares qu’on ne le pense et c’est toujours un motif de satisfaction. Ils ne sont toutefois pas assez nombreux pour équilibrer la masse de copies moyennes et surtout celle des travaux qui manifestent le triple échec de l’Université. Échec des étudiants, échec des enseignants, échec du système.

Faire un tel constat n’est pas toujours bien perçu. Celle ou celui qui le dresse risque d’être rangé dans diverses cases, celle des râleurs insatisfaits, celle des dépressifs chroniques ou celle des réactionnaires nostalgiques, voire dans les trois à la fois. Parce que l’Université doit être le lieu de la réussite, il n’est pas toujours jugé opportun de parler d’échec, surtout en hauts lieux, surtout à l’heure de la positive attitude.

Mais les copies sont là. Celles avec leurs mots écorchés à chaque ligne. Celles aux phrases à la syntaxe si troublée que l’on y comprend rien. Celles qui vous parlent d’histoire sans vous mettre sous la dent la moindre date, le moindre nom propre. Ce flot de copies sur lesquelles les étudiant-e-s ont gravé la distance qui vous sépare d’eux. Car cet échec, c’est aussi le mien et il révèle mes propres limites. Leur ai-je consacré assez de temps ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé les bons mots pour faire comprendre telle ou telle notion ? (Je pensais pourtant que celle de salaire réel avait été acquise). Pourquoi les ai-je senti perdus au milieu du mois de février ? (Je sais, en fait, qu’ils furent noyés sous les évaluations que nous leur avons données en même temps sans nous concerter, bien entendu). Mes objectifs n’étaient-ils pas trop ambitieux ? (Je me suis pourtant limité à la lecture d’un manuel que je pensais abordable). En fait, il n’y a pas un enseignant qui ne peut pas ne pas se remettre en cause lors de cette épreuve qu’est la correction des copies d’examen [1].

 Trains de réformes et immobilisme

Se remettre vraiment en cause, le système universitaire n’y est pas très habitué. Surtout lorsqu’il s’agit de lutter contre l’échec des étudiants. Dernièrement, Vincent Berger l’un des artisans de la loi de 2013 sur les universités, a reconnu que tous les efforts n’avaient pas été faits sur la réussite en licence [2]. C’est le moins que l’on puisse dire. La seule action d’ampleur en la matière date du plan Licence lancé en 2007 par Valérie Pécresse. Ce plan n’a d’ailleurs produit aucun résultat tangible si l’on en juge par la grande stabilité des taux de « réussite » de la licence en trois ans ou de celui du taux de sortie des étudiants sans diplôme. Non, « la réussite en licence ne décolle toujours pas » [3].

On peut se demander s’il n’aurait pas été plus avisé de faire travailler les personnels des universités sur ce problème crucial et bien concret plutôt que de les épuiser dans des mécanos institutionnels dont les COMUE sont sans doute le symbole le plus navrant. Que de temps passées en assises à l’issue écrite à l’avance, en réunions statutaires, en groupes de travail vains et éphémères ! Pendant ce temps, plusieurs dizaines de milliers de jeunes sont sortis du système d’enseignement supérieur. Certes, on a appris à minimiser le problème en se concentrant uniquement sur les titulaires d’un baccalauréat professionnel ou technologique, en n’évoquant que les 20% d’une promotion sortant de l’enseignement supérieur sans diplôme voire en affichant comme un succès le fait d’obtenir sa licence en cinq ans. Cet aveuglement, ce refus d’entendre ceux qui ne cessaient de dire qu’une véritable réforme de l’université passait par un investissement massif dans l’enseignement et par sa remise à plat, ne cesse d’avoir un coût considérable : un coût humain d’abord, un coût financier, ensuite. À cet égard, un petit calcul s’impose : sachant qu’en 2016 plus de 260000 bacheliers se sont inscrits à l’Université et que le taux de réussite des inscrits en première année est de 27%, sachant également qu’un étudiant à l’Université coûte environ 10000 euros par an, calculez le coût d’une année d’échec à l’Université [4]. Bien entendu, on pourra toujours contester les termes de cette arithmétique mais le résultat c’est que des moyens considérables ont été gâchés et continuent de l’être, créant ainsi une immense frustration.

  Haro sur la pédagogie universitaire

Le système, c’est aussi nous, les enseignants à l’université. Après une vingtaine d’années de carrière comme moniteur, ATER puis maître de conférences, j’ai le souvenir assez précis du nuancier de réactions face à ce problème.

  • L’indifférence, tout d’abord, est accompagnée de l’acceptation fataliste voire méprisante de la constante macabre dont on peut toujours se laver les mains en accusant l’enseignement secondaire.
  • Le constat d’impuissance, ensuite, vous conduit à reconnaître l’ampleur du problème qui, en même temps, vous écrase. C’est que l’échec à l’université renvoie certes aux dysfonctionnements de l’enseignement secondaire - qui n’est pas celui des enseignants qui font ce qu’ils peuvent mais celui d’un système qui admet, par exemple, que certains bacheliers ne sachent pas écrire un français compréhensible - mais il est encore celui d’une forme de discrimination dans l’édifice de l’enseignement supérieur. Tant qu’un étudiant de première année de licence ne mobilisera pas les mêmes moyens qu’un élève de classe préparatoire, tant que les effectifs dans les groupes de TD à l’Université ne seront pas calés sur ceux des effectifs en IUT, tant que l’on imposera à l’Université des règles que l’on ne demande pas ailleurs (la seconde session, par exemple), tous les discours sur la réussite en licence ne seront que de la poudre de perlimpinpin.
  • Un dernier type de réaction est celui de l’engagement sacrificiel qui conduit certains enseignants à tout faire pour bricoler des dispositifs visant à améliorer les chances de leurs étudiants, au prix de leurs recherches et, parfois, de leur santé [5].

La tâche de ces collègues n’est pas aisée tant il est vrai que l’investissement en la matière est mal reconnu dans les établissements. Parfois même il suscite des réactions d’hostilité car, à l’Université, la pédagogie a (très) mauvaise presse. J’ai eu l’occasion d’entendre des collègues brocarder les « sovkhozes pédagogiques », désignant ainsi les réunions de coordination que l’on souhaitait mettre en place. D’autres opposaient à la « pédagogie universitaire » le sacro-saint principe de la « liberté pédagogique ». Liberté pédagogique, que de crimes on commet en ton nom ! J’ai vu des sujets d’examen sans aucune instruction donnée aux différents correcteurs, j’ai vécu une absence de coordination entre les cours magistraux et les séances de travaux dirigés, j’ai constaté une absence de consensus minimal sur des principes méthodologiques fondamentaux, j’ai senti les étudiants perdus lorsqu’ils étaient confrontés aux conceptions divergentes de leurs enseignants (sur la problématique, sur le plan apparent), j’ai remarqué une absence de réflexion sur des exigences concrètes (un étudiant écrivant un français approximatif peut-il avoir un diplôme de licence ?). Tout cela s’est souvent fait au nom de la liberté pédagogique.

Pourtant, de réunions l’université n’en manque pas mais si l’on avait pu consacrer un dixième du temps dévolu à l’architecture des maquettes, à l’auto-évaluation souvent stérile faute de pouvoir prendre en compte ses résultats, à la liste normalisée des mentions, si l’on avait pu consacrer un dixième de ce temps à des questions simples : que devons-nous enseigner ? que devons-nous exiger ? quels moyens nous donnons-nous pour le faire ?, j’ai la faiblesse de penser que la situation serait différente.

Il faut que dire que la « pédagogie universitaire » est aussi aux prises avec l’injonction à l’innovation, qui, en l’espèce, est une construction sur du sable. Alors que la France se caractérise par une très faible structuration des services de pédagogie dans l’enseignement supérieur - contrairement au Canada ou à la Belgique, par exemple - on a récemment assisté à un mouvement encourageant l’usage du numérique dans les formations [6]. Alors que certaines d’entre elles n’assurent même pas la coordination pédagogique de base, les invitations à utiliser les « nouvelles technologies » ont fleuri. La mode de MOOC fut, à cet égard, particulièrement symptomatique. Alors que toutes les salles des universités ne sont pas de vidéo-projecteurs, le tout numérique apparaît comme un élément de décor de l’université Potemkine.

 Des propositions pour avancer

Cette indifférence voire de ce rejet pour la pédagogie universitaire nourrit le sentiment d’être perdu, sentiment qu’éprouvent aussi bien les étudiants que les enseignants. Pourtant les bonnes volontés ne manquent pas chez les uns et chez les autres. Les initiatives non plus. Ce qui manque, ce sont des moyens et une fédération de ces initiatives [7]. Et comme l’optimisme est de volonté, il faut bien proposer quelque chose. Aujourd’hui, je fais deux propositions.

La première concerne les réformes qui ne manqueront pas de venir. Je propose donc d’exiger que les conditions concrètes d’enseignement dans le supérieur soient le chantier prioritaire du moment. Il faut refuser de s’engager dans tout autre chantier si cette condition préalable n’a pas été remplie. À cet égard, il n’est pas nécessaire de réunir des assises nouvelles. L’on dispose déjà de nombreuses données et de nombreux rapports, parmi lesquelles la Stratégie nationale pour l’enseignement supérieur et le Livre blanc, ce dernier pointant d’ailleurs un besoin d’un milliard supplémentaire. C’est l’autre condition qu’il faut poser dans les futurs débats : la question des moyens doit être également un préalable. La « sanctuarisation » du budget de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est pas acceptable. Il faut mettre sur la table le(s) milliard(s) du sup, d’abord.

L’autre proposition est encore plus concrète. Puisque la « pédagogie universitaire » est le souci de nombreux collègues de bonne volonté, je leur propose de se fédérer autour d’un petit outil numérique. Le wiki « Alma mater studiorum » doit permettre aux enseignants du supérieur de signaler toutes les ressources en la matière pour nous permettre d’avancer collectivement. Puisque personne ne veut unir toutes ces bonnes volontés qui s’épuisent, faisons-le nous-mêmes.


[1Et ce sera encore pire lors des examens de seconde session, ce dispositif inepte.

[2News Tank Information, Interview n° 92840, diffusée le 5 mai 2017.

[3Aurore Abdoul-Maninroudine, « La réussite en licence ne décolle toujours pas », Educpros, 23 novembre 2016, en ligne : http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/universite-reussite-en-licence-ne-decolle-toujours-pas.html

[4260000×(1-0,27)×10000 = 1,638 milliard d’euros

[5Je précise que je ne me range pas parmi ces derniers dans la mesure où j’ai le privilège de bénéficier d’un statut particulier grâce à mon appartenance à l’Institut universitaire de France. Cela ne m’empêche pas, je pense, d’être resté engagé dans mon université aux côtés de celles et ceux qui font tourner la boutique

[6Il est tout à fait symptomatique que le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche comporte des pages consacrées à l’innovation pédagogique mais aucun service en la matière

[7J’ai toujours été surpris de voir que, dans un pays centralisé comme le nôtre, il soit aussi difficile de fédérer les initiatives.