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Vers l’Université de Lille : le défi démocratique

jeudi 30 mars 2017, par GGB

Comment construire une Université de Lille respectueuse de la collégialité universitaire ? C’est le défi démocratique.

Les statuts de l’Université de Lille ont été construits selon un double principe : celui d’une relation directe entre le « centre » et les composantes et un principe de subsidiarité. Le premier principe avait pour corollaire le refus de créer un échelon intermédiaire entre les organes centraux de l’Université et les composantes comme il en existe ailleurs sous la forme de collegia. Il s’agissait de ne pas recréer, sous une autre forme, les universités que l’on venait de fusionner. L’autre principe, celui de subsidiarité, n’a pas été clairement défini mais il implique normalement qu’un échelon ne prenne en charge que ce qui ne relève pas d’échelons inférieurs. Ensemble, ces deux principes ont vocation à assurer la cohérence du futur établissement tout en garantissant une certaine autonomie à ses composantes.

Ces principes politiques sont pertinents mais ils ne dissipent pas, cependant, un sentiment de perplexité. Si les composantes sont définies de manière légale et statutaire, force est de reconnaître que la liste des composantes de la future Université de Lille fait apparaître des entités fort diverses. Pour ne s’en tenir qu’au critère de la taille, on remarquera qu’à côté de certains mastodontes certaines UFR sont de taille plus modeste - voire plus humaine. Cette inégalité de taille est pourtant perçue par certains comme une anomalie et a conduit certains à envisager des fusions dans la fusion afin de créer de grandes facultés qui puissent avoir plus de poids dans les futures discussions internes. Ce processus est tout à fait problématique dans la mesure où il risque d’aboutir à l’émergence de citadelles que l’on voulait précisément éviter.

L’une des menaces qui pèsent sur l’Université de Lille est ainsi la résurrection d’un modèle facultaire dont on se croyait débarrassé depuis la vénérable loi Edgar Faure. Ce n’est pas parce que nous avons légitimement fusionné nos trois terrains qu’il faut nécessairement y construire de grands ensembles. Le périmètre des facultés ne doit pas découler de contraintes gestionnaires (simplifier l’arborescence budgétaire, assurer des mutualisations). Il doit dépendre de projets pédagogiques et scientifiques pertinents. Cela n’interdit pas de grandes composantes ; cela ne les rend pas indispensables non plus.

Un autre problème tient au lien que le « Central » entretiendra avec ses composantes. Il n’est pas sûr qu’un centralisme plus ou moins démocratique assorti d’un principe de subsidiarité encore obscur soit le meilleur modèle de gouvernement pour l’Université de Lille. Cette dernière ne doit pas reposer sur la co-gestion d’une présidence et d’un aréopage de doyens. En dépit de toutes les critiques que l’on peut légitimement lui adresser, la collégialité est essentielle au fonctionnement de la vie universitaire et elle peut être efficace pourvu que les règles de la discussion et de la décision soient préalablement et clairement posées. [1]. Ne serait-ce que pour le Conseil académique restreint - en charge notamment des carrières individuelles des enseignants et des enseignants-chercheurs - il va être nécessaire de mettre au point des procédures claires et transparentes du fait du nombre accru de dossiers à examiner. En fait, l’enjeu est que les conseils centraux ne deviennent pas les chambres d’enregistrement d’un établissement géant où la plupart des décisions se prendraient entre le président et les doyens.

Concrètement, une collégialité préservée dans une Université fusionnée me semble devoir reposer sur un certain nombre de principes :
 une information diffusée à tous les échelons grâce aux technologies de notre temps ;
 un cadrage précis et transparent des différentes procédures (recrutement, dialogue de gestion, définition de l’offre de formation, évaluation, etc.) précisant notamment le rôle des conseils de composantes (UFR, labos, départements) dans leur mise en œuvre ;
 des possibilités de recours internes laissées aux collègues ;
 une évaluation scrupuleuse par les conseils centraux du respect de ces procédures, et notamment des prérogatives des conseils.

Je pense également que d’autres points devraient être explorés et notamment la question du statut de l’élu - enseignant, BIATS ou étudiant - dans les conseils. L’autonomie des universités a renforcé leurs responsabilités et donc celles des élus des conseils qui doivent être formés et qui doivent pouvoir avoir le temps d’exercer leur mandat. Cela passe par l’intégration de leurs missions dans le référentiel des tâches, dans leur temps de travail voire dans leur cursus d’étude. En outre, les directeurs de composantes (UFR, laboratoires, départements) doivent pouvoir bénéficier d’un soutien administratif adapté afin qu’ils puissent se concentrer sur des tâches réellement stratégiques, d’un point de vue pédagogique et scientifique, et non pas sur tâches uniquement administratives pour lesquels ils ne sont pas nécessairement compétents.

En fait, le principe qui doit préciser à la constitution de notre université est assez simple : tous les choix essentiels de notre université doivent faire l’objet d’une discussion éclairée et élargie. C’est un vieux principe des Lumières qui n’est plus très à la mode mais dont notre Université s’honorerait d’être le tabernacle. À cet égard, nous avons le choix. Nous ne sommes pas condamnés à voir naître un monstre froid ni à voir proliférer des comportements claniques ou corporatistes pourvu que nous fassions l’effort collectif de nous donner les moyens de notre démocratie universitaire.

Prochain épisode : le défi de l’exigence


[1J’ai d’ailleurs eu l’occasion de remarquer que ceux qui contournent cette collégialité ne prennent pas nécessairement les bonnes décisions contrairement à ce que pourrait laisser penser une doctrine moderne du despotisme éclairé qui est de plus en plus en vogue