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Oui, les universités ont un problème de moyens !

vendredi 17 novembre 2023, par GGB

Une tribune publiée dans AOCle 21 septembre 2023

Inexorable, l’extension du domaine réservé du président de la République s’étend maintenant à l’enseignement supérieur qui peut s’attendre à des déconvenues.

En effet, Emmanuel Macron considère désormais que les universités françaises n’ont « pas de problèmes de moyens » et qu’elles doivent faire beaucoup mieux avec leur budget, quitte à revenir sur le maintien de formations qui « depuis des années ne diplôment quasiment pas » et à faire « davantage contribuer ceux qui ont le plus de moyens »[1].

La Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a repris fidèlement ce discours lors de sa conférence de presse de rentrée : elle invite les établissements à « contribuer à un moment difficile » du budget de l’État ainsi qu’à « prendre le taureau par les cornes et à réfléchir au modèle économique des universités »[2]. Fin août, elle avait déjà annoncé aux présidents des universités que ces dernières seraient amenées à supporter elles-mêmes une grande partie des décisions salariales prises par le gouvernement.

Il ne faut pas s’y tromper : toutes ces déclarations vont au-delà du traditionnel bras de fer budgétaire estival et les prises de position présidentielles ne doivent pas être prises à la légère. Emmanuel Macron s’était déjà exprimé, dans un entretien au Point, sur le fait que tout le monde n’avait pas « vocation à aller à l’université »[3]. On ne peut écarter le fait qu’une réforme soit dans l’air et qu’elle soit menée, comme souvent, de manière cavalière et sur la base d’un diagnostic faussé.

 Les faits sont têtus et les moyens trop rares

La pensée présidentielle est-elle à ce point complexe qu’elle finit par se détacher du réel ? La dégradation des moyens des universités depuis le début des années 2010 est un fait établi par la statistique publique, rappelé par une récente note du Conseil d’analyse économique[4] : entre 2011 et 2021, la dépense moyenne par étudiant des universités a baissé d’environ 15 %[5]. En outre, cette évolution ne doit pas faire oublier les inégalités structurelles de l’enseignement supérieur : la dépense pour un élève de classe préparatoire est 60 % plus élevée que celle pour un étudiant à l’université et celle d’un élève de section de technicien supérieure de 40 %. Relativement aux différentes catégories d’établissements, l’université est celle qui a le moins de moyens – et cela est particulièrement vrai dans le domaine des sciences humaines et sociales.

La masse des heures d’enseignement assurées par des enseignants non-titulaires vient confirmer le constat d’une fragilité générale. Malgré l’absence de transparence sur cette question, il est possible d’estimer la part des heures d’enseignement assurées par les uns et par les autres. Du fait de l’érosion de leurs effectifs pendant plusieurs années, les enseignants titulaires peinent à assurer la moitié de la charge globale d’enseignement sur leurs heures statutaires. Au moins un tiers des heures d’enseignement délivrées dans les établissements d’enseignement supérieur le sont sur la base d’heures complémentaires ou de vacations[6]. Lorsque l’on sait que chacune de ces heures est rétribuée une quarantaine d’euros pour quatre heures de travail effectif, on mesure qu’une large part des enseignements universitaires est assurée à bas prix, grâce à des personnels indispensables – les vacataires – mais souvent bien peu reconnus.

En matière de comparaison internationale, la situation n’est pas meilleure. La France se situe certes autour de la moyenne de l’OCDE en matière de dépense par étudiant mais derrière des pays comme la Suède, le Danemark, la Belgique ou l’Allemagne qui ont une part de financement public importante. Alors que la dépense annuelle moyenne par étudiant a augmenté dans les pays de l’OCDE depuis les années 2010, elle a baissé en France[7]. En matière de taux d’encadrement, c’est-à-dire du nombre d’étudiants par enseignant, la France se situe sous la moyenne de l’OCDE[8]. La comparaison avec d’autres pays offre donc, au mieux, un tableau en demi-teinte. Bref, sans parler de la visite souvent cruelle de certains campus étrangers, l’hypothèse d’universités françaises prospères ne résiste pas à un examen rationnel.

 Une autonomie sous dépendance

L’exécutif justifie cependant sa position en montrant du doigt le milliard que les universités auraient en réserve et qu’elles n’auraient pas dépensé. Sans entrer dans un exposé trop technique, rappelons que ces fonds de roulement constituent l’épargne des universités : cette dernière sert à financer leurs investissements mais il s’agit aussi d’une épargne de précaution. En d’autres termes, tout n’y est pas mobilisable. Et encore ne faut-il ne pas se laisser abuser par l’origine de ce prétendu trésor : il résulte le plus souvent d’économies faites sur l’emploi des enseignants titulaires, qui n’a cessé de se dégrader depuis plusieurs années !

Le procès en mauvaise gestion fait aux universités est d’autant moins honnête que l’existence de fonds de roulement importants dépend aussi des lacunes du pilotage de l’enseignement supérieur, à commencer par l’absence, pointée par maints rapports, d’un système clair d’allocation des moyens aux universités. L’application du modèle mis en place en 2009 – le controversé modèle SYMPA – avait conduit, selon la Cour des Comptes elle-même, « à entériner et à compenser en partie le sous-financement relatif de certaines universités, tout en maintenant, de manière indue au regard du modèle, le sur-financement relatif des autres. »[9] Son abandon de fait depuis 2017 n’a pas arrangé les choses. La subvention pour charge de service public, que l’État alloue aux universités, présente des disparités importantes pouvant aller du simple au double en termes de subvention par étudiant[10]. Cette situation conduit non seulement à des iniquités entre établissements mais encore à une opacité qui n’aide pas les universités à se projeter dans l’avenir.

Toute une série de facteurs entrave une meilleure gestion des universités. Le recours de plus en plus fréquent à des appels à projets pour financer des missions de base crée un aléa puisque, par définition, tous les candidats n’ont pas vocation à être retenus. La compensation partielle voire inexistante de décisions prises par l’État oblige les universités à trouver elles-mêmes les financements dont l’État se défausse : l’exemple le plus patent est celui de la non-compensation de l’augmentation du point d’indice dans la Fonction publique. Par ailleurs, la notification tardive de l’ensemble des ressources de l’année en cours met parfois les universités dans l’impossibilité de les dépenser correctement ! Enfin, tous les établissements ne possèdent pas toujours, loin s’en faut, tous les personnels nécessaires pour concevoir et suivre des projets d’investissements lourds et ambitieux. Cela est particulièrement vrai pour les quelque 20 millions de mètres carrés d’immobilier universitaire dont l’État se décharge, de fait, sur les établissements.

La ponction par l’État du fonds de roulement des universités trahit ainsi une conception particulière de l’autonomie des universités, célébrée à l’envie mais qui se révèle être celle du chien au bout de sa laisse. On alourdit les missions des universités, en les sommant de trouver elles-mêmes les marges de manœuvre pour répondre à des exigences parfois contradictoires. On envisage de les soumettre à une logique de performance sans jamais évaluer les résultats du train de réformes qu’elles ont subies depuis vingt ans[11]. Or, le système hérité de la loi de 2007 sur les universités révèle toutes ses limites que les prétendus « succès » du classement de Shanghai ne peuvent occulter : l’échec en licence n’a pas reculé de manière significative (ce que la ministre a le mérite de reconnaître implicitement, en disant que nous n’avons pas encore gagné « la bataille de l’orientation »), les inégalités, tant sociales que géographiques, se maintiennent et le service public d’enseignement supérieur est affaibli au profit d’un secteur privé florissant. Si l’on souhaite pousser la logique de l’évaluation jusqu’au bout, il faut aussi soumettre la politique de l’enseignement supérieur menée depuis vingt ans à un bilan sans concession.

 Une pensée complexe mais simpliste

Nous n’en prenons malheureusement pas le chemin. Habité par le dogme d’universités sans problème de moyens, le président de la République intime désormais aux établissements de revoir leurs formations et d’« avoir le courage de dire “on ne laisse pas ouvertes des formations parce qu’on a des profs sur ces formations” ». Il faut certes avoir l’honnêteté de reconnaître que l’offre de formation universitaire est non seulement sous-dimensionnée mais parfois mal dimensionnée. Toutefois, l’idée selon laquelle les universités feraient preuve d’une forme de lâcheté corporatiste n’exprime pas, mais on en a l’habitude, le respect qu’elles seraient en droit d’attendre, ni une compréhension convenable d’un problème éminemment complexe.

Faut-il rappeler que les universités sont des établissements d’enseignement et de recherche ? Les universitaires sont des enseignants-chercheurs dont la mission est aussi de construire des savoirs avant de les transmettre. Cette complémentarité du lien enseignement-recherche a d’ailleurs été encouragée par l’État lui-même depuis la mise en place du LMD, au moins. Rediriger l’offre de formation universitaire sur des cycles courts à des fins d’insertion professionnelle rapide, en fermant des formations plus longues mais fragiles, est une décision qui n’est pas simple sur le plan pratique et qui est discutable sur le plan politique. Un tel objectif pose, en effet, la question du statut émancipateur des savoirs à l’université et de leur autonomie vis-à-vis de finalités ou d’intérêts économiques.

Certaines universités seront-elles ainsi limitées à des formations essentiellement professionnalisantes tandis que d’autres assumeront pleinement le lien enseignement-recherche dans des spécialités « libérales » à peu d’inscrits ? Bien entendu, on doit se demander quels seraient les effets sociaux d’une telle politique de refonte de l’offre de formation. Il y a certainement une certaine injustice à engager des étudiants dans des études longues dont les perspectives professionnelles peuvent s’avérer incertaines ou décevantes. Mais il ne serait pas moins injuste de mettre en place un système où, in fine, les études longues, particulièrement dans des disciplines rares, ne seraient offertes qu’à celles et ceux issus des catégories sociales les plus favorisées. Comme l’ont rappelé des travaux récents, il existe une aspiration populaire à la poursuite d’études longues[12].

Bien entendu, on peut rétorquer qu’une formation qui ne diplôme personne ne peut donner satisfaction à quiconque ! Mais la question est bien de savoir pourquoi il peut exister un écart, parfois important, entre l’entrée dans une formation, la diplomation et l’insertion professionnelle. Là encore, il n’y a pas de réponse simpliste : les problèmes d’orientation peuvent être l’une des causes mais les conditions médiocres d’encadrement, faute de moyens, aussi.

Ces questions difficiles auraient pu trouver une réponse dans le cadre de la coordination territoriale prévue par la loi de 2013 mais cette dernière s’avère souvent décevante parce que personne, et surtout pas l’État, ne peut ou ne veut assumer un rôle de régulation. Ce dernier est pourtant indispensable, ne serait-ce que pour savoir que faire des « profs » qui animent les formations que l’État entend mettre sur la sellette. Emmanuel Macron a beau jeu de dénoncer le « gâchis collectif » de l’orientation sans s’interroger sur celui qui consiste à étouffer les capacités de recherche et de création des universitaires, épuisés par le dénuement structurel des universités françaises.

L’Éducation nationale, en général, et l’enseignement supérieur, en particulier, ne sauraient être le domaine réservé d’un seul homme, de surcroît constitutionnellement irresponsable. On aimerait donc, une fois encore, mais sans doute vainement, que le pouvoir fasse preuve de plus d’écoute et de considération envers l’ensemble des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, à commencer par celles et ceux qui enseignent et qui recherchent, malgré des réformes incessantes qui, avec le temps, ont démontré leurs limites voire leur nocivité.

Gabriel Galvez-Behar

Historien, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lille (UMR IRHIS) et doyen de la Faculté des Humanités

[1] Voir Le Monde, 8 septembre 2023.
[2] Alice Bouviala, « “Il faut prendre le taureau par les cornes et réfléchir au modèle économique des universités” (Sylvie Retailleau) », AEF, dépêche n° 698856, 8 septembre 2023, en ligne, consulté le 12 septembre 2023.
[3] Voir Le Point, 24 août 2023.
[4] Gabrielle Fack et Élise Huillery, « Enseignement supérieur : pour un investissement plus juste et plus efficace », Notes du Conseil d’analyse économique, n° 68, 2021, p. 2.
[5] État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France, 2022,tableau 01.01.
[6] Pour le détail de cette estimation, voir ma note de blog : « Les heures d’enseignement dans le supérieur », 14 septembre 2023, consulté le 14 septembre 2023.
[7] OCDE, 2022 ; OCDE, Indicateurs de financement de l’éducation : C1.3 : Croissance annuelle moyenne des dépenses totales consacrées aux établissements d’enseignement par étudiant équivalent temps plein (2012 à année sélectionnée).
[8] Idem.
[9] Cour des Comptes, L’autonomie financière des universités : une réforme à poursuivre, septembre 2015, p. 83.
[10] Sur ce point, voir l’étude du SNESUP, Inégalités de dotation : quels sont les taux d’encadrement et les budgets par étudiant des universités et établissements d’enseignement supérieur publics, en ligne, consulté le 12 septembre 2023.
[11] Voir le rapport du sénateur Philippe Adnot, Le financement à la performance : Une condition de l’attractivité des universités françaises, rapport d’information n° 130, 2019, en ligne, consulté le 12 septembre 2023.
[12] Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec, L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire, Raisons d’agir, 2022.


Quelques éléments pour une estimation du poids des heures complémentaires et des heures de vacation dans l’enseignement supérieur :

Source : Panorama des personnels enseignants dans l’enseignement supérieur, 2021. ISBN : 978-2-11-172298-9, juin 2023.
 En 2021, 68536 personnels enseignants titulaires (p. 13) dont 13130 enseignants 1er et 2d degré -> Potentiel heures enseignement statutaire : (68536+13130)*192= 15 679 872 h
 En 2021, 27 912 ETP de contractuels (p. 51) Estimation des heures statutaires (192 pour un ATER, 64h pour un doctorant, etc) : 3 421 120 h
 En 2021, rémunération des personnels titulaires consacrées aux cours complémentaires : 207 200 K€ ; rémunération des personnels contractuels consacrées aux heures complémentaires : 117 600 K€ (p. 114) -> 324 800 000 €
 Coût chargé de l’heure complémentaire : 43,48€

Source heures vacataires : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2023-07/enseignants-contractuels-2022-tableaux-28634.xlsx

Enseignants titulaires Enseignants contractuels Agents vacataires Total
Obligations de service (estimation large en heures) 15 679 872 3 421 120 néant 19 100 192
Heures complémentaires/Vacations 4 765 409 2 704 691 5 104 474 12 574 502
Total 20 445 281 6 125 739 5 104 474 31 674 694