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Parcoursup : ne nous trompons pas de combat !

samedi 13 janvier 2018, par GGB

La réforme de l’entrée dans l’enseignement supérieur menée tambour battant suscite des controverses qui ne bénéficieront qu’à ceux qui sont déjà privilégiés par un système franchement inégalitaire si l’on ne pointe pas les vrais problèmes. Disons-le tout net : la réforme en cours n’instaure pas la sélection à l’Université mais elle en fait courir le risque.

Le clivage de notre système d’enseignement supérieur entre des filières sélectives et des filières non-sélectives ne date pas d’aujourd’hui. Rappelons que pas grand monde, malheureusement, ne remet réellement en cause cette situation, ni même le fait que les étudiants des classes préparatoires bénéficient d’une dépense d’éducation largement supérieure à celle des étudiants d’université. Le projet de loi réorganise l’entrée dans l’enseignement supérieur en faisant émettre par les conseils de classe de terminale des avis sur les projets des lycées et en permettant aux universités d’imposer des dispositifs de soutien à des étudiants dont l’intégration à l’université pourrait être jugée délicate. Les fameux « attendus » doivent permettre aux lycéens de formuler leurs vœux et aux enseignants d’émettre leurs avis. Sur cette seule base, l’université ne pourra pas s’opposer à l’inscription d’un étudiant pourvu que celui-ci accepte les dispositifs qui lui seront prescrits. Bref, ces dispositions à elles seules n’introduisent pas la sélection à l’Université mais visent à renforcer l’orientation des étudiants.

Le problème est ailleurs. Il réside dans la conjonction de ces dispositions nouvelles avec la possibilité de sureffectifs dans certaines formations. Hier, cette situation était réglée par le tirage au sort. Avec le projet de loi, lorsque les capacités d’accueil auront été atteintes dans certains établissements, ces derniers pourront refuser des inscriptions sur la base de l’évaluation des dossiers des lycéens. Sur cette base, il faut le reconnaître, le risque de sélection n’est pas nul, même si des garde-fous ont été prévus : les capacités d’accueil seront fixées par les autorités académiques et ces dernières devront trouver ailleurs des places aux étudiants refusés par des établissements. Cela, bien entendu, pourra créer des difficultés pour les étudiants qui seront amenés à traverser toute une académie pour faire leurs études.

Le dispositif Parcoursup se présente donc comme un outil à double tranchant. D’un côté, il est conçu pour aider l’étudiant à formuler des choix et à comprendre quelles sont les exigences de l’enseignement supérieur. De l’autre, en fonction des capacités d’accueil, il peut se transformer en machine à exclure. Savoir laquelle de ces deux faces sera présentée à l’étudiant dépendra de plusieurs acteurs : du Recteur - et donc le gouvernement -, des établissements et des responsables de formation. Il n’est pas exclu que certains parmi ces derniers soient tentés d’adopter une politique malthusienne mais cela n’est pas inévitable non plus : pour remplir leurs obligations d’enseignement, les enseignants ont besoin d’étudiants.

Cette ambivalence du dispositif Parcoursup résulte d’un double problème dont l’Université française souffre de manière chronique. Tout d’abord, la réforme acte du fait que le baccalauréat n’est plus le premier grade de l’enseignement supérieur. Elle rappelle un principe fondamental qu’une déconnexion entre le secondaire et le supérieur avait fait oublier : les études supérieures, à l’Université comme ailleurs, cela se prépare. Or tant les statistiques que l’expérience des enseignants à l’Université montrent que les étudiants sont de moins en moins préparés à l’enseignement supérieur [1] . Dire cela n’est pas entonner la rengaine du niveau qui baisse : il s’agit seulement de constater et de s’étonner que certains bacheliers, pas nécessairement issus des filières professionnelles ou technologiques dont on voudrait faire l’origine de tous les maux, ont, par exemple, de graves problèmes d’expression et ne semblent pas maîtriser des connaissances et compétences théoriquement attendues au collège. De cela, les élèves ne sont pas réellement responsables mais il est temps de se redemander à quoi a réellement abouti l’objectif des 80% d’une classe d’âge au baccalauréat et quels moyens la Nation s’est réellement donnés pour y aboutir. À cet égard, il faut tout de même noter que ce diagnostic avait déjà été posé il y a une dizaine d’années par des "réformateurs" qui n’étaient pas nécessairement tous réactionnaires ou néo-libéraux.

L’autre problème a trait au sous-financement chronique de l’Université française. Alors que les différentes versions du Plan d’investissement d’avenir concentrent les financements sur un petit nombre d’établissements jugés excellents, le service public de l’université fait face à un traitement discriminant par rapport aux filières sélectives. On l’a dit, alors que la dépense par élève de classe préparatoire dépasse 15 000€ par an, celle des étudiants à l’Université est d’un peu plus de 10 000€ (et elle est sans doute moindre en premier cycle). Ces dernières années, elle est en baisse [2]. Le nombre d’enseignants-permanents est resté globalement le même, subissant même une légère érosion depuis quelques années, alors que le nombre d’étudiants augmente. Le recours aux personnels non-permanents, tant dans les fonctions pédagogiques qu’administratives, est toujours aussi important. Le patrimoine immobilier des universités vieillit mal et ne répond pas aux besoins de base d’un enseignement du XXIe siècle. Ces dernières années, les réformes n’ont cessé de privilégier la question de la gouvernance et les mécanos institutionnels sans chercher à déterminer les vrais besoins d’un enseignement supérieur de qualité ni, a fortiori, à s’en donner les moyens [3]. À cet égard, les récentes annonces budgétaires ne suffiront pas à rattraper un retard structurel et encore moins à faire face aux augmentations d’effectifs.

Les besoins de qualifications dans les années à venir et l’impérieuse nécessité de construire un monde un peu plus éclairé que le nôtre, tout cela milite pour refuser la sélection. La loi actuelle n’inscrit pas cette dernière dans le marbre. La sélection sera une tentation à laquelle succomberont peut-être les cyniques - il y en a - ou les collègues fatigués d’accueillir dans un contexte de pénurie des étudiants si peu préparés qu’ils ne les comprennent parfois plus. D’autres devront résister pour obtenir les moyens indispensables à l’accueil des étudiants et au financement des dispositifs qui leur permettront de bénéficier pleinement de leurs études supérieures. Ce n’est pas en rejetant le dispositif Parcoursup que l’on fera disparaître les problèmes fondamentaux de l’enseignement supérieur français. Il ne faut pas se tromper de combat.


[1Je n’entre pas ici dans le détail des discussions sur le taux d’échec. Je pense que l’on ne peut pas comparer un taux identique dans des contextes bien différents. L’échec au sein de l’université des années 1950 ou des classes préparatoires d’aujourd’hui et celui qui touche l’université massifiée d’actuellement ne concerne pas le même nombre de personnes et, surtout, le même profil social.

[2Là encore, les statistiques sont problématiques car elles dépendent de changement de périmètres dont l’institution garde mal la mémoire. La forte augmentation de la dépense par étudiant intervenue autour de 2007 est très probablement due à l’intégration des IUT dans la catégorie des universités

[3La France se situe juste au dessus de la moyenne de l’OCDE pour la dépense par étudiant et se situe juste en dessous pour la part du PIB consacré à l’enseignement supérieur. À cet égard, il serait intéressant de prendre en compte ce que ces différences de flux créent comme différences de stock. Quelle est la richesse de l’enseignement supérieur français ? Il y a tout lieu de penser qu’ici comme ailleurs les écarts s’accumulent.