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Feue l’Université de Lille

samedi 6 avril 2019, par GGB

L’Université de Lille est mort-née mais elle ne le sait pas encore. Le 5 avril, à la veille de la pause pédagogique de printemps, le président de l’Université a annoncé la démission du premier vice- président pour des raisons personnelles qui ne remettraient pas en cause "le cap politique" de son équipe. Cette démission est la troisième depuis l’entrée en vigueur de la fusion (1er janvier 2018) après celle du vice-président Finances puis celle du vice-président Relations humaines. Cette instabilité de l’équipe présidentielle traduit à l’évidence une problème de conception de la fusion que le récent rapport de la Cour des comptes a déjà pointé. Pourtant, l’Université de Lille n’est même pas encore stabilisée que vient s’y substituer un autre projet, celui d’un établissement expérimental intégrant facultés et écoles. Il y a tout lieu de penser que l’Université de Lille - une université pluridisciplinaire de plein exercice - ne verra jamais le jour et laissera la place à un conglomérat qui s’en arrogera le nom sans en porter l’ambition.

L’Université de Lille est mort-née mais elle ne le sait pas encore. Le 5 avril, à la veille de la pause pédagogique de printemps, le président de l’Université a annoncé la démission du premier vice-président pour des raisons personnelles qui ne remettraient pas en cause « le cap politique » de son équipe. Cette démission est la troisième depuis l’entrée en vigueur de la fusion (1er janvier 2018) après celle du vice-président Finances puis celle du vice-président Relations humaines. Cette instabilité de l’équipe présidentielle traduit à l’évidence une problème de conception de la fusion que le récent rapport public de la Cour des comptes a déjà pointé. Pourtant, l’Université de Lille n’est même pas encore stabilisée que vient s’y substituer un autre projet, celui d’un établissement expérimental intégrant facultés et écoles. Il y a tout lieu de penser que l’Université de Lille - une université pluridisciplinaire de plein exercice - ne verra jamais le jour et laissera la place à un conglomérat qui s’en arrogera le nom sans en porter l’ambition.

 L’ambition originelle

Il faut comprendre pourquoi certains - au nombre desquels se compte l’auteur de ces lignes - ont soutenu le projet de fusion des trois anciennes universités publiques. Bien entendu, il n’y a jamais eu d’unanimité sur ce sujet qui a suscité autant d’attentes que d’arrière-pensées. Il n’en demeure pas moins que le projet de fusion pouvait se défendre pour plusieurs raisons. La première tient aux limites de la scission de l’Université de Lille opérée dans les années 1970. Encore qu’il faudrait documenter correctement cette histoire, il semble bien que la création des trois universités lilloises ait procédé d’une logique plus politique que scientifique ou pédagogique. Cela a conduit à ce qui est rétrospectivement apparu comme un ensemble de bizarreries, surtout pour le domaine des sciences humaines écartelé entre les trois établissements (encore que d’autres secteurs fussent aussi concernés). Retrouver une cohérence tant sur le plan scientifique que pédagogique était une intention louable.

Une autre tient à la spécificité du paysage lillois et nordiste. Avec six universités publiques et un Institut catholique, le site septentrional a longtemps été difficile à coordonner. Cela a été un handicap à la fin des années 2000 quand des projets d’aménagement puis de restructuration des sites universitaires ont été lancés. Les universités lilloises en ont payé le prix avec des résultats médiocres lors du plan Campus et des différents appels du PIA. Le concours Lépine des restructurations étant lancé, certains ont même eu l’idée d’une université régionale fusionnée - oui, fusionnée, même s’ils le démentent aujourd’hui. En imposant le schéma d’une communauté d’universités et d’établissements par académie, la loi de juillet 2013 n’a pas aidé [1]. Alors qu’une structure « fédérale » lilloise aurait pu être possible, la seule solution institutionnelle pour un rapprochement des universités lilloises restait la fusion. Enfin, la dynamique nationale de reconfiguration de la carte universitaire a sans nul doute nourri un processus mimétique : comment ne pas chercher à atteindre la fameuse « taille critique » quand le voisin l’a fait et peut peser plus lourd auprès de la rue Descartes ? Toutes ces raisons, bonnes ou mauvaises, ont pesé pour que soit lancé le processus de fusion.

 Un défi majeur

Nous n’étions pas obliger de créer l’Université de Lille pour les mauvaises raisons en se lançant dans une course à la taille et pour chercher à complaire au jury international du PIA qui nous a si souvent maltraités. Nous pouvions choisir les bonnes : développer les complémentarités scientifiques et pédagogiques en construisant un projet intellectuel pour l’Université. C’était et cela reste l’une des bases possibles de la fusion. Pour cela, il aurait cependant fallu bien en apprécier les risques. Si beaucoup de travail a été abattu par les équipes pour préparer cette échéance, l’Université de Lille souffre d’un grave manque d’anticipation et d’un sérieux problème de méthode. De l’aveu même de la Présidence et de la Cour des comptes, cela tient à l’absence d’un certain nombre d’outils de pilotage nécessaires pour avoir une représentation nette de la réalité de l’établissement. Curieux équipage qui a fait partir son lourd navire en oubliant sa boussole !

Plusieurs problèmes auraient dû être résolus à ce jour. Le premier était celui du rapport entre le central (l’établissement) et ses composantes. C’est ce que l’on appelle depuis maintenant plus de deux ans le problème de la subsidiarité. Ce dernier était d’autant plus délicat que s’opposaient globalement deux modèles : celui de Lille 2 et de Lille 1 avec des composantes importantes dotées de moyens à la hauteur en termes de personnels administratifs notamment, d’un côté, celui de Lille 3, plus centralisé. La centralisation a parfois des inconvénients mais elle peut aussi éviter certaines dérives de composantes qui ont tendance à vouloir persévérer dans leur être en s’affranchissant de certaines règles. Les compétences de l’établissement et des composantes auraient dû être pensées avant la fusion (au moins par l’équipe qui, forte de son expérience, prétendait assurer la direction de l’Université).

Aujourd’hui, dix-huit mois après les élections aux conseils centraux, ce fameux principe de subsidiarité n’est toujours pas arrêté, ce qui n’empêche pas le transfert de compétences par la bande. Pourtant, qui dit transfert de compétences dit normalement transfert de personnels. À cet égard, la répartition des personnels administratifs et techniques - l’un des piliers de toute université - s’avère très inégale. Certaines composantes relevant d’un même champ disciplinaire mais de sites différents ont des taux d’encadrement en personnels BIATS pouvant aller du simple au double pour un nombre d’étudiants et d’enseignants assez proche.

La question de la répartition des moyens est donc centrale. Or - et c’est le deuxième problème - les modèles financiers des trois universités étaient fort différents. Une méthode de bon sens aurait voulu qu’on établisse au préalable un diagnostic précis de cette situation dans les trois établissements afin d’anticiper sur les éventuels problèmes à venir. Le rapport public de la Cour des comptes laisse malheureusement entendre que ceux qui en étaient en charge - l’agent comptable préfigurateur et la Direction régionale des finances publiques - n’ont pas obtenu les informations nécessaires. Par ailleurs, comme le montre toujours le même rapport, qu’il s’agisse du Rectorat ou du ministère de l’Enseignement supérieur, la tutelle a mal joué son rôle, laissant faire un processus qu’elle savait hasardeux et que paient aujourd’hui les personnels de l’Université. Comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, il serait heureux que le président de l’Université puisse communiquer aux élus des instances les rapports d’observations définitives que la Cour des comptes a établies à propos de la gestion des trois universités sur la période 2011-2016. Le but n’est pas de se monter les uns contre les autres mais de profiter d’une analyse extérieure alors même que l’Université de Lille n’a pour seule histoire que celle des établissements fusionnées [2]

Une autre difficulté tient à l’hétérogénéité des activités et de leurs conceptions dans les trois anciens établissements. De ce fait, le statut d’enseignant-chercheur recouvre des réalités fort diverses dans certaines composantes. Certains se spécialisent dans des tâches purement collectives - au point de cumuler plusieurs centaines d’heures complémentaires pour cela ; d’autres semblent bénéficier d’une modulation de fait pour faire de la recherche. Ici, un directeur ou une directrice de département voit sa fonction reconnue à hauteur de 48 heures de service, là ce sera le double pour le même nombre d’étudiants. L’équité est pourtant indispensable pour la cohésion de la nouvelle université. Cela suppose, bien sûr, que l’on juge cette cohésion souhaitable.

 La tentation de la fuite en avant

Le discours officiel est que ces difficultés sont transitoires : le moment est mauvais à passer mais il passera. On aimerait être aussi optimiste et partager ce pari sur l’avenir. Toutefois, non seulement la fusion fait souffrir en attendant bon nombre de personnels - jusqu’aux membres de l’équipe de direction - mais encore il n’est pas sûr qu’elle se termine bien. Une autre échéance vient percuter le processus de fusion : la confirmation de l’I-SITE obtenu en 2017. Pour obtenir le capital de plus de 500 millions d’euros, la fondation ULNE (Université Lille-Nord Europe) doit montrer qu’elle est engagée sur la bonne voie. Cette dernière, en l’occurrence, passe par l’intégration des écoles et de l’Université dans un seul et même ensemble. Et l’on entend dire que ce nouveau grand ensemble prendrait le nom d’Université de Lille.

Il n’est pas besoin de relancer une nouvelle querelle des universaux pour comprendre que cette reprise du nom de l’Université serait le signe d’un renoncement. L’une des questions sera immanquablement celle de la gouvernance de cette entité nouvelle et plus précisément celle de la dissymétrie entre des écoles de taille modeste - ou humaine - et une grande université. À quoi s’ajouteront la question de la personnalité morale des unes et des autres ainsi que celle des moyens. L’une des tentations sera de créer une nouvelle « Université » qui rassemblera de grandes composantes - à qui l’on aura pu confier une sorte de personnalité morale - et des écoles. Mais le risque sera double : d’une part de renoncer à construire l’Université que l’on voulait au départ, d’autre part créer autant de composantes-citadelles aux moyens inégalement répartis.

Cette tentation ne peut que croître à mesure que se rapproche l’échéance de l’audit de l’I-Site et que le retard pris sur le chantier de l’Université de Lille s’accumule. Pourquoi créer un établissement avec son projet intellectuel, sa subsidiarité, son modèle économique, le rééquilibrage de ses moyens, la mise en place de son système d’information, l’harmonisation de ses activités alors qu’il serait beaucoup plus simple de laisser faire des composantes à qui l’on donnera une autonomie et moyens inégalement distribués ? Faute d’avoir préparé correctement la fusion, on a créé les conditions de voir sacrifier l’Université de Lille sur l’autel de l’I-Site qui prendra le nom ... d’Université de Lille.

Ce scenario serait bien triste mais il ne me semble pas tout à fait irréaliste. Il faudrait que chacun.e prenne ses responsabilités pour le démentir en faisant preuve d’humilité et de méthode et en se demandant à chaque étape si les sacrifices - humains et financiers - en valent toujours la peine.


[1Sauf pour la région parisienne car Paris n’est pas la France

[2Remarquons qu’un travail a été entrepris sur le rééquilibrage du budget des laboratoires. Ces conclusions sont imminentes.