Accueil > Points de vue > Les comptes fantastiques de MonMaster
Les comptes fantastiques de MonMaster
jeudi 17 octobre 2024, par
Le 15 octobre dernier, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a publié un Bilan de la campagne 2024 de MonMaster . La conclusion la plus saillante de cette communication était de montrer "[l’]amélioration significative du taux de candidats qui ont reçu au moins une proposition". En effet, selon ce bilan, la part de candidats ayant reçu au moins une proposition parmi les "candidats éligibles" aurait augmenté de plus de six points, passant de 79,6% en 2023 à 85,7% en 2024.
Bien entendu, on pourrait commencer par s’interroger sur la pertinence de ne mettre en avant que le fait d’avoir reçu au moins une proposition. Ce critère est-il satisfaisant si l’unique proposition correspond au dernier choix du candidat. On sait que la hiérarchisation des vœux est refusée par le ministère alors qu’elle permettrait d’éclairer pourtant l’adéquation de l’offre de formation aux attentes des étudiantes et des étudiants.
À la recherche des "candidats éligibles"
Toutefois, c’est sur la méthode que l’on souhaite se pencher ici et notamment sur cette notion de candidats éligibles. Cette catégorie regroupe les "candidats ayant validé un diplôme de niveau bac+3 avant cette année, [les] candidats en réorientation, et [le] nombre estimé de candidats validant leur diplôme de niveau bac+3 cette année (sur la base du taux de réussite en Licence 3 constaté par le SIES les années passées)." [1] Il s’agit donc d’une estimation qui permet de prendre en compte les étudiants qui n’ont pas validé leur L3 après avoir déposé leurs candidatures.
Cette estimation est sans doute faite à partir des taux de réussite dont le ministère a connaissance pour les années passées mais le détail du calcul n’est pas donné. À ma connaissance toujours (mais je ne demande qu’à être démenti), on ne retrouve ce chiffre dans aucune publication des services statistiques du ministère : ni dans la Note flash du SIES paru en novembre 2025 [2], ni dans celle parue deux mois plus tard [3], ni dans les Repères et références statistiques 2024.
Ce chiffre de 173 000 étudiants apparaît en revanche dans un communiqué de presse du ministère paru le 21 juin 2023. Il mentionne alors 173 000 "candidats ayant validé au moins un vœu sur la plateforme et éligibles à une inscription en 1re année de Diplôme national de Master" [4]. Ce chiffre est tout de suite repris par la presse [5] puis, on l’a vu, dans le récent communiqué du ministère afin de servir de base de comparaison. Pourtant, le chiffre réel des admis pour 2023 devrait être désormais connu. Or, dans la comparaison qui est faite pour cette année, c’est toujours le chiffre de 173 000 étudiants qui est pris en compte [6].
Vice-versa
En l’absence d’une explicitation du calcul de ce chiffre de candidats éligibles puis d’une prise en compte des candidats qui auront effectivement été diplômés de L3, il vaut mieux établir les comparaisons sur les données constatées et non sur des données estimées. Pour cela, il est possible de prendre en compte le nombre de candidats ayant validé au moins un vœu, le nombre de candidats ayant reçu au moins une proposition, après la phase principale et après la phase complémentaire [7] et le nombre de candidats ayant accepté une proposition (ce chiffre n’est pas encore disponible pour 2024). Nous donnons également le fameux chiffre de candidats éligibles pour mémoire.
Voilà ce que cela donne :
2023 | 2023 (avec prise en compte des désistements) | 2024 | |
---|---|---|---|
Candidats ayant validé au moins un voeu (1) | 209 324 | 209 324 | 227 060 |
Candidats éligibles (2) | [173 000] | [173 000] | 191 700 |
Candidats ayant reçu au moins une proposition après la phase principale (3) | 150 837 [8] | 150 837 [9] | 149 000 [10] |
Candidats ayant reçu au moins une proposition lors de la phase de gestion des désistements ou de la phase complémentaire (4) | 9 874 [11] | 13 000 | |
Nombre total de candidats ayant reçu au moins une proposition (5) | 150 837 | 160 711 | 164 000 [12] |
Part (5)/(1) | 72% | 76% | 72% |
Candidats ayant accepté une proposition (compte non tenu des recherches de contrats d’alternance)(6) | 131 637 | 131 637 | non connu |
Part (6)/(1) | 63% | 63% | non connu |
Comme on le voit, si l’on prend en compte l’ensemble des candidats et non pas le chiffre incertain du nombre de candidats éligibles, le taux d’obtention d’au moins une proposition a, au mieux stagné à 72%, au pire baissé de 4 points. Le constat est donc diamétralement opposé à celui du communiqué de presse du ministère.
Il faut préciser ici que ce sont bien les chiffres données par le service presse qui posent problème et qui s’avèrent peu cohérents avec ceux que donnent les services statistiques ministériels. Ainsi, le dernier communiqué du 15 octobre précise qu’"en 2023, à la clôture de la campagne, parmi les 173 000 candidats éligibles à l’entrée en M1, près de 137 800 candidats avaient reçu au moins une proposition d’admission via la plateforme (soit 79,6 % des candidats éligibles)." Pourtant, ce chiffre de 137 800 candidats ne figure pas dans les statistiques officielles disponibles. S’agit-il, là aussi, d’une estimation pour prendre seulement en compte les candidats éligibles qui auraient reçu au moins une proposition et mettre de côté les candidats qui auraient reçu une proposition mais qui n’auraient pas été éligibles (ce qui représenterait tout de même, au bas mot, 150 837 - 137 800 = 13037 candidats) ? Mais, là encore, quelle est la méthode ?
Leçons
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le chevauchement entre une logique de communication et une évaluation objective n’aide pas à comprendre ce qui se passe. Tout cela peut paraître ne constituer que de dérisoires querelles de chiffres mais pendant que l’on se concentre sur les quelques éléments de langage et chiffres-clés du service presse du ministère ne passe-t-on pas à côté de vraies questions ?
Par exemple, on peut rappeler qu’en 2022, plus de 204 000 étudiants ont été diplômés d’une licence professionnelle ou générale [13]. Les chiffres 2023 ne sont pas encore disponibles mais on peut estimer que l’ordre de grandeur est resté le même. Or 138 000 étudiants de L3 professionnelle ou générale ont déposé une candidature en 2023 [14]. Nous avons donc (seulement) deux tiers des étudiants de licence qui ont déposé une candidature en master et comme seulement 91 661 de ces candidats ont finalement accepté une proposition, cela signifie que moins de la moitié des diplômés de licence poursuivent en master. C’est donc la question de la poursuite d’études qui est posée.
Enfin, on doit tout de même s’interroger sur le fait qu’en 2023, entre 19 000 et 29 000 candidats ayant eu une proposition n’en ont accepté aucune [15]. Ces candidats auraient-ils tous échoué à leur L3 sortant de l’ensemble des "candidats éligibles" ? Si ces derniers représentent plus de 80% des candidats, ainsi que le laissent penser les évaluations du ministère, ce sont en fait entre 15 000 et 23 000 diplômés de L3 qui sont possiblement restés sur le carreau, insatisfaits par la proposition qui leur était faite. Un tel chiffre mériterait un débat nourri par des analyses claires et objectives.
[1] Bilan de la campagne 2024 Mon Master", Communiqué de presse du MESR, 15 juin 2024, nous soulignons
[2] "MonMaster 2023 : les candidatures à l’entrée en master", Note flash du SIES, n°25, novembre 2023
[5] voir, par exemple, Soazig le Névé, "Plate-forme Mon master : le ministère de l’enseignement supérieur prend la défense du nouveau système", Le Monde, 21 juin 2023
[6] On déduit ce chiffre en partant du taux de 79,6% correspondant à 137800 candidats qui est mentionné dans le Bilan 2024.
[7] En 2023, le ministère a incité à la mise en place d’une phase complémentaire qui n’était pas prévue par les textes
[8] La Note flash 2024-01 indique "À l’issue de la phase d’admission principale de cette campagne, 72 % des 209 000 candidats ont reçu au moins une proposition d’admission." (p.1)
[9] La Note flash 2024-01 indique "À l’issue de la phase d’admission principale de cette campagne, 72 % des 209 000 candidats ont reçu au moins une proposition d’admission." (p.1)
[10] Par déduction des deux colonnes suivantes
[11] Ce chiffre correspond, en fait, au nombre de candidats ayant accepté au moins une proposition lors de la gestion des désistements
[12] Dans son communiqué du 15.10.2024, le ministère déclare : "Ainsi, parmi les 191 700 candidats éligibles à l’inscription en M11 à la rentrée 2024 ayant eu recours à la plateforme lors des phases d’admission principale et complémentaire, plus de 164 000 ont obtenu au moins une proposition d’admission (soit 85,7 % des candidats éligibles)." On en déduit donc que ce chiffre de 164.000 correspond bien au nombre de candidats ayant reçu une proposition sur l’ensemble des phases.
[15] Voir le tableau