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« Si j’étais président, de l’établissement public ... »

Contribution à une campagne

samedi 9 octobre 2021, par GGB

Il y a environ un an, j’avais eu l’occasion d’exprimer en congrès de l’Université de Lille toutes les réserves que m’inspirait la marche forcée vers l’établissement public expérimental. Cela m’avait valu un échange un peu tendu avec le président de l’Université, qui avait déjà annoncé sa candidature à son équipe mais qui semblait penser que ma posture était dictée par des visées électorales. La paille, la poutre... Un an plus tard, je ne suis toujours pas candidat. Et l’actuel président de l’Université de Lille ne l’est maintenant plus.

Sacrifice ou abandon ? Quoi qu’il en soit, ce renoncement présidentiel crée une situation confuse alors que se préparent les élections aux conseils centraux de l’établissement public expérimental récemment créé par décret. Le candidat d’hier abandonne et vient finalement soutenir celui qui s’était déclaré dès cet été pour proposer une alternative claire à cette candidature désormais sans lendemain. Du coup, se sentant trahis malgré leur fidélité jamais démentie, certains soutiens du candidat de la veille [1] se présentent précipitamment dans un sursaut de colère et de dignité mais se retrouvent contraints de définir un projet dans l’urgence. Tout cela n’aide pas à susciter l’intérêt que cette campagne mérite. Le temps de comprendre toutes ces péripéties, les élections auront eu lieu.

Depuis près de quinze ans, j’essaie d’être un citoyen actif de mon université. J’ai participé à un grand nombre d’élections et à un bien plus grand nombre de groupes de travail. Tout en continuant à enseigner et à faire de la recherche, je dirige une faculté en tentant tant bien que mal d’animer un collectif d’enseignants, de chercheurs, de personnels administratifs et d’étudiants. C’est une fonction qui réclame une présence dans la durée et je n’ai jamais considéré ce mandat comme un marche-pied vers d’autres fonctions qui ne m’intéressent pas nécessairement. Contrairement à ce que certains voulaient croire ou voulaient faire croire, je ne suis pas candidat à la présidence de l’établissement public expérimental.

Cela ne m’empêche pas de vouloir contribuer au débat. N’ayant jamais été membre du collectif soutenant l’actuel président - je le souligne -, ayant pointé assez tôt des problèmes qui me semblent toujours se poser avec une certaine acuité, m’étant opposé au projet d’établissement actuel, j’ai la faiblesse de penser qu’il n’est pas tout à fait inutile de participer à cette campagne en faisant part à la communauté de quelques réflexions.

Une situation confuse et difficile

La confusion actuelle ne résulte pas seulement de la décision individuelle de tel ou tel candidat ou de telle ou telle candidate. Elle découle de la marche de l’université depuis plus de quatre ans et relève d’une responsabilité collective. La fusion des universités lilloises a été mal préparée. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire publiquement, j’ai, en tant qu’élu dans les conseils et partisan de cette fusion, largement sous-estimé la difficulté de la tâche. Non seulement certains aspects avaient été passés sous silence - et notamment la très grande difficulté financière de l’université Lille 1 - mais encore la forte hétérogénéité des modes de fonctionnement des trois anciennes universités n’avait pas été correctement anticipée. L’accompagnement de l’État a été minimum, ce qui a parfois contraint à des décisions de fortune.

 Une université qui fait face

Recréée en 2018, la nouvelle Université de Lille a toutefois fait face et il serait malhonnête tant envers l’équipe sortante qu’envers tous les personnels, que de dire que rien n’a été fait. L’établissement semble avoir rétabli sa situation financière même si cette dernière reste toujours fragile. La fusion des directions centrales a permis, parfois dans la douleur, à des personnels ayant des cultures de travail différentes de collaborer ensemble. Le chantier des recompositions internes a pu être mené à son terme - enfin, presque. Durant la crise sanitaire, l’établissement a tenu le choc grâce à la mobilisation des personnels et des étudiants.

Parallèlement, l’animation de l’I-Site a permis de continuer à nourrir les ambitions d’une université qui entend rester une université. Non seulement des moyens supplémentaires ont été donnés à la recherche et à la formation mais l’I-Site est venu donner une visibilité à l’ensemble des champs disciplinaires. L’I-Site a également joué un rôle-clef dans la mobilisation des acteurs lillois de la recherche pendant la crise COVID. Pendant ces quatre années, au prix d’efforts considérables, l’Université de Lille est devenue une réalité.

 Les raisons de l’épuisement

Ces réalisations, voire ces avancées, ne dissipent pas, cependant, le sentiment d’épuisement général nourri par un déploiement d’activités tous azimuts alors même que certains problèmes structurels n’ont toujours pas été réglés.

 La question des moyens.

L’Université de Lille est l’une des plus mal dotées de France. Le rappeler peut susciter l’agacement de celles et de ceux qui ne voudraient pas voir les pauvres sous leurs yeux. Je me rappelle toutefois que, siégeant au CNESER le jour où ce dernier examinait le décret sur la fusion des universités lilloises, les membres de cette instance avaient été surpris du faible nombre d’enseignants-chercheurs face au grand nombre d’étudiants du site lillois. Encore ne connaissaient-ils pas celui des chercheurs des organismes !

Obtenir de l’État les moyens nécessaires à l’Université pour l’accomplissement de sa charge de service public est une exigence qui devrait mobiliser l’ensemble des acteurs de notre territoire et de notre établissement, à commencer par le président de l’Université lui-même. La question est tellement lourde et complexe qu’il ne suffit pas de laisser des placets dans l’antichambre d’un cabinet. Il faut construire un rapport de force politique qui nécessite une expression claire au plus haut niveau. Il est paradoxal que l’expression publique en la matière soit venue du premier vice-président, là où on aurait attendue celle du président lui-même. Peut-être s’agissait-il d’un calcul politique ? Quoi qu’il en soit, cette politique de la discrétion n’a pas porté ses fruits et les dialogues de gestion se succèdent où les collègues doivent se répartir la pénurie sans jamais voir le bout du tunnel.

 La question de l’offre de formation.

La création de l’Université de Lille a correspondu avec la préparation d’une nouvelle offre de formation, voulue ambitieuse sur le plan pédagogique. Hélas, la complexité de son cadrage, l’absence de réelle réflexion sur sa soutenabilité, l’impréparation technique aggravée par l’obsolescence de certains outils informatiques et par la crise sanitaire, ont conduit à une mise en œuvre douloureuse par des équipes pédagogiques et, surtout, administratives qui, sur le terrain, ont dû redoubler d’initiative et d’énergie pour pallier ces dysfonctionnements. S’il est encore trop tôt pour mesurer les effets pédagogiques de cette nouvelle offre, il apparaît d’ores et déjà que son coût n’est pas maîtrisé. Dès lors, c’est la question de l’équité de l’encadrement des étudiantes et des étudiants qui ne l’est pas non plus.

Les absentes ayant toujours tort, certains sont tentés de faire porter la responsabilité de ces difficultés sur la vice-présidence Formation de l’époque. C’est oublier une vérité cardinale : dans un établissement d’enseignement supérieur, la responsabilité de la construction de l’offre de formation engage l’ensemble de la collectivité universitaire et, à tout le moins, l’ensemble de la direction de l’Université. Si le plan de revalorisation des métiers de l’offre pédagogique est évidemment bienvenu - et il faut le saluer -, il est intervenu tardivement sans pouvoir épargner aux équipes administratives les difficultés voire le traumatisme qu’elles ont pu vivre durant cette première année du contrat.

  La “subsidiarité” et la place des composantes

Si l’Université de Lille a réussi à créer un échelon central dont les membres ont appris à travailler ensemble, force est de reconnaître que beaucoup reste à faire quant à la définition du « qui-fait-quoi » à l’échelle de l’établissement actuel. La répartition des tâches souffre d’un manque de formalisation, en dépit des quelques avancées du projet consacré aux procédures. Par ailleurs, le déploiement des grands outils fonctionnels a pris un retard tel qu’il est difficile de disposer d’un appui au pilotage toujours efficace. Il faut souligner toutefois une vraie amélioration en termes de production et de partage des données. Cet effort de transparence indéniable ne s’est malheureusement pas traduit par des conséquences bien nettes.

Le lancement du projet “subsidiarité” devait permettre une formalisation et une renégociation du partage des activités entre le nouvel échelon central et des composantes fort hétérogènes. Le lancement effectif de ce projet est intervenu fort tard, dans la dernière année du mandat, et il crée paradoxalement un trouble d’autant plus fort qu’il s’accompagne dans la pratique d’un transfert « sauvage » d’activités de l’échelon central vers les composantes. Les opérations techniques de mise en œuvre de l’offre de formation, dont un très grand nombre ont fini par être imposées aux équipes administratives des composantes, en sont un témoignage. Sans doute ce mouvement est-il dû au sous-dimensionnement de certains services en central, qui peinent à assumer la charge et qui peuvent alors être tentées d’en délester une partie sur les composantes qui ne peuvent pourtant pas plus faire face. Cette situation est génératrice de tensions entre les différents niveaux de l’établissement tout à fait préjudiciable à son bon fonctionnement.

Il ne suffit pas de dire qu’il n’y a pas de solution de continuité entre échelon central et composantes : il faut le prouver. Cela suppose, par exemple, que ces dernières soient impliquées dès l’amont aux grandes orientations stratégiques par les vice-présidentes et par les vice-présidents ainsi que par les directions centrales. Cela implique aussi que l’unité administrative soit réalisée en pratique. Cela passe notamment par un dialogue effectif et plus étroit entre les directions centrales et les directions de composantes, les premières ne devant pas se considérer comme supérieures aux secondes, ce qui devrait les conduire à discuter ensemble, par exemple, sur des choses aussi concrètes que des calendriers de gestion plutôt que de les leur imposer.

 La course à l’EPE

C’est dans ce contexte relativement fragile - qui plus est accentué par les effets de la crise sanitaire - que l’Université de Lille s’est lancée en 2020 dans la définition des statuts d’un établissement public expérimental. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises sur cet EPE qui risque de déstabiliser les quelques acquis de l’Université de Lille et de créer un degré de complexité supplémentaire sans que l’on en voit l’apport réel. Le projet I-Site envisageait bien la création d’une « université intégrée » à l’horizon 2024 mais pourquoi une telle précipitation vers une telle expérimentation ? Contrairement à bien d’autres sites, l’Université de Lille avait déjà fait le travail de fusion sur l’ensemble des universités de son site et devait continuer d’améliorer la structuration de sa recherche et de sa formation grâce à l’I-Site Et sans autres moyens supplémentaires que ceux qu’elle avait péniblement arrachées, il lui était demandé de faire un nouvel effort.

Toutefois, l’EPE, désormais, existe. Il a été approuvé largement par le Conseil d’administration de l’Université de Lille, au terme de plusieurs mois de travail sur les statuts et d’une discussion interne, qu’il a fallu réclamer, et où ceux qui prétendaient s’opposer au projet n’ont pas toujours été au rendez-vous. Après le départ de Centrale Lille, l’adhésion en catastrophe de l’ENSAIT et les péripéties du vote de l’ENSAP, les écoles ont également adopté les statuts du nouvel établissement. Et avec toute la lenteur dont il est capable, le ministère a fait procéder à la publication du décret créant la nouvelle « Université de Lille », permettant ainsi le lancement d’une campagne officielle qui sera dérisoirement courte.

L’Université de Lille est (bientôt) morte, vive l’Université de Lille ! Il est faux de dire que ce nouvel établissement ne changera rien au cours de la vie universitaire. En effet, il offre des possibilités d’« expérimentation », avec tout ce que cela comprend d’opportunités, certes, mais aussi de risques qui peuvent aboutir à la segmentation accrue du service public d’enseignement supérieur, à l’autonomisation de certaines composantes voire à l’affirmation d’une emprise technocratique. Ces risques sont d’autant plus lourds qu’ils s’imposent à une communauté universitaire épuisée qui fait face à trois défis : le défi humain, le défi démocratique et le défi universitaire qui seront tous au cœur de la campagne actuelle.

(à suivre…)


[1À l’heure où ces lignes sont écrites, la liste alternative n’est pas publiée