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Sur l’utilité des propositions pour une Stratégie nationale de l’enseignement supérieur

mercredi 9 septembre 2015, par GGB

Carton rouge

La déception — voire la colère — à l’égard de la politique d’enseignement supérieur et de recherche menée au cours des premières années du quinquennat peut légitimement se comprendre. Le maintien par l’actuelle majorité des principes fondamentaux de la LRU — et notamment la gestion de la masse salariale par les établissements — a été, pour beaucoup de collègues, une forme de trahison. Pour ma part, je n’ai jamais considéré la LRU comme étant la racine de tous les maux de l’enseignement supérieur en France mais plutôt comme le symptôme d’un mal qu’elle a permis de rendre plus visible (rappelons-nous la quasi-faillite de plusieurs universités). La politique de Geneviève Fioraso — je personnalise ici pour aller vite — mérite bien d’autre reproches.

Ainsi la préparation de la loi de juillet 2013 a-t-elle été le grand échec de ce mandat. Le processus d’assises, rapports et contre-rapports a été lourd et opaque par bien des aspects. Il a abouti à une loi qui n’était pas une loi de programmation et qui ne réglait pas des problèmes concrets et fondamentaux. Peut-être les COMUEs serviront-elles un jour à quelque chose ; ce n’est pas tout à fait impossible. Mais leur constitution chronophage et énergivore ne devait pas être la priorité du moment. Il a d’ailleurs fallu attendre plus de deux ans pour que certaines COMUEs aient enfin leurs statuts publiés au Journal officiel. C’est un exemple parmi d’autres.

Au-delà de la loi de 2013, le déni récurrent de Geneviève Fioraso, refusant de voir les problèmes budgétaires auxquels les universités étaient confrontées au motif que le budget de la MIRES était globalement préservé, a été une provocation pour tous ceux qui ne pouvaient que constater, sur le terrain, l’insoluble équation financière des universités. Qu’un récent rapport de la Cour des comptes leur ait donné raison sera une consolation d’autant plus maigre qu’à cette date les universités n’ont toujours pas de modèle économique viable [1].

Oui, on peut siffler un carton rouge mais la question de la suite de la partie reste entière.

Discrètement, les lignes bougent

L’arrivée de Thierry Mandon rue Descartes a été diversement appréciée, voire pas appréciée du tout. J’ai eu l’occasion d’assister au discours qu’il a prononcé lors de l’installation du nouveau CNESER le 15 juillet dernier. J’y ai vu le signe d’un changement d’attitude. Le déni ou la minimisation n’étaient plus de mise. Le problème du financement des universités dans un contexte d’augmentation du nombre d’étudiants a été clairement reconnu tout comme le malaise du milieu. Le secrétaire d’État a reconnu qu’il y avait des problèmes et a dit sa volonté de les voir résolus rapidement. Le “Tout va très bien, Madame la Marquise...” ne résonne plus en haut de la Montagne Sainte-Geneviève.

Il faut prendre acte de ce changement. Bien entendu, Thierry Mandon ne gagnera peut-être pas les tout prochains arbitrages budgétaires. Il les perdra à coup sûr si on lui savonne la planche. Et s’il les gagne en ayant seulement trouvé des alliés qui souhaitent que rien ne bouge, il n’est pas sûr que l’enseignement supérieur y gagne beaucoup.

Lire le rapport STRANES

C’est dans ce contexte qu’arrive le rapport sur la STRANES [2]. Beaucoup se plaisent à le considérer comme un rapport de plus qui enfonce des portes ouvertes. Je ne partage pas cette appréciation. La question n’est pas d’enfoncer des portes ouvertes mais de les franchir enfin. Si nous avions commencé par un tel rapport en 2012, en insistant sur des problèmes concrets de l’enseignement supérieur plutôt que de se lancer dans un mécano institutionnel, nous aurions gagné beaucoup de temps. [3]. Réserver l’accès automatique aux licences générales aux titulaires d’un baccalauréat général (p.87) est une proposition qui bouscule le système actuel [4]. Proposer un préciput à 25% sur les contrats de recherche pour financer les universités est aussi une proposition forte (p. 161).

Bien entendu, ces propositions n’ont pas vocation à faire consensus. En ce qui me concerne, je ne suis pas du tout convaincu par la justification donnée au droit d’accès au master pour les titulaires de la licence (p. 81). Le raisonnement des rapporteurs occulte la différence entre la sanction d’un niveau général et l’évaluation de pré-requis pour une formation spécifique. D’autres choses sont à discuter voire à contester. Toutefois, plutôt que de jeter ce rapport aux orties, sans même l’avoir lu dans le détail, il me semble plus pertinent de se l’approprier en distinguant les propositions d’action qui peuvent faire l’objet d’un accord pour être mises rapidement en œuvre et celles qui doivent faire l’objet d’une négociation plus approfondie [5]. Ce qu’il faut maintenant, c’est une feuille de route car il y a urgence à résoudre les vrais problèmes.

Urgences

L’urgence se situe à un triple niveau au moins. À court terme, il s’agit de faire face au climat de démoralisation voire de renoncement qui touche le monde de l’enseignement supérieur, frappé par le déni — voire le mépris — dont j’ai parlé plus haut. Ce climat est non seulement insupportable mais il risque de faire échouer toutes les réformes à venir. La deuxième urgence est d’ordre électoral. Les prochaines échéances régionales auront une influence sur l’enseignement supérieur et même sur la recherche. En 2017, pour les présidentielles, on peut toujours espérer qu’une droite bien disposée à l’endroit de l’enseignement supérieur et de la recherche prenne les choses en main tant il est vrai que, pour beaucoup, le bilan de Valérie Pécresse apparaît, au final, moins négatif que celui de Geneviève Fioraso [6] Il s’agit toutefois d’un pari risqué. Il me semble préférable de saisir toutes les opportunités de réforme plutôt que d’attendre que la réforme finale vienne d’on ne sait où. Surtout si cette réforme finale signe la fin du service public d’enseignement supérieur. La dernière urgence, à moyen terme, est l’augmentation du nombre d’étudiants à l’horizon 2023. Mieux vaut que nous soyons prêts à faire face correctement à cette augmentation de près de 10% des effectifs. Pour une fois, anticipons.

Ouverture

La déception et la colère, même légitimes, ne font pas une politique. Un blog, aussi pertinent soit-il, non plus. On peut alors se lancer dans le combat électoral. Certains le font, ce qui est tout à leur honneur. On peut aussi vouloir croire que, d’ici aux prochaines échéances électorales, des choses peuvent encore changer dans le bon sens. L’acuité de la crise que notre monde traverse nous commande de ne pas perdre de temps et de saisir toutes les occasions qui semblent se présenter.


[1On attend toujours la réforme du modèle d’allocation des ressources SYMPA

[2Stratégie nationale de l’enseignement supérieur

[3On peut me rétorquer que la STRANES découle de la loi de 2013. Je pense que le problème fondamental de ce mandat est un problème de timing et de priorisation. Ce qui renvoie à la légèreté du programme de François Hollande sur l’enseignement supérieur et la recherche en 2012

[4Rappelons que l’article L612-3 du Code de l’éducation dispose que “Le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat”

[5Il faut d’ailleurs lire avec beaucoup d’attention l’annexe 6, précise et prudente, de la sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques

[6Je ne vais pas me faire d’amis en disant cela mais c’est bien ce qui se dit dans les couloirs des universités en parlant avec des collègues “de gauche”. Par ailleurs, l’évolution de la dépense d’enseignement supérieur par étudiant est positive entre 2006 et 2011 (source : Rapport STRANES, p. 151).