À l’approche de l’anniversaire de la loi du 22 juillet 2013, les discussions sur les communautés d’universités et d’établissements (COMUE) s’enflamment au point de rendre l’air difficilement respirable. À l’autosatisfaction inébranlable de la secrétaire d’État répondent des prises de position où l’invective tient lieu d’argument. Le débat se polarise autour de quelques collectifs et s’envenime au risque de devenir tout à fait stérile. Sous cette forme, il ne peut que contribuer à rendre le climat politique un peu plus délétère. Si l’on prétend aller au fond des choses, ne serait-ce que pour acter de désaccords peut-être insurmontables, il faut au moins s’entendre.
Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Laissons de côté – même s’il s’agit d’un facteur essentiel – la désillusion et la colère que suscite la présidence de François Hollande dans le pays. L’avenir nous dira si cette dernière nous mènera à la débâcle ou au sursaut. Cela nécessiterait un autre texte. Concentrons-nous ici sur les questions relatives à l’enseignement supérieur et à la recherche.
Une loi pour rien ?
Alors qu’en 2007, la droite était arrivée au pouvoir avec une idée précise de ce qu’elle comptait faire en la matière, le pouvoir socialiste décide quant à lui de prendre son temps. Après s’être attiré les faveurs des syndicats étudiants grâce à un certain nombre de mesures, il lance les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont l’organisation apparaît aux yeux de beaucoup comme un dévoiement d’une démarche réellement participative. Au terme de ces Assises, du rapport Berger, puis du rapport Le Déaut, on en arrive, à l’hiver 2013, au projet de loi. La montagne Sainte-Geneviève accouche d’une souris. Certes, le projet prétend avancer sur trois points : la réussite étudiante, la gouvernance des universités et les regroupements d’établissements. Pourtant, il passe à côté des enjeux essentiels.
Tout d’abord, contrairement à la loi pour la refondation de l’école, la loi ESR n’est pas une loi de programmation. La question des moyens est laissée sous silence alors même que les universités peinent à faire face à l’évolution de leur masse salariale, qu’elles doivent gérer conformément à la loi sarkozyste de 2007, jamais remise fondamentalement en cause par les socialistes. Je n’insiste pas sur ce point car je pense, contrairement à beaucoup de mes collègues, il est vrai, que les malheurs de l’enseignement supérieur et de la recherche en France ne datent pas de la LRU et qu’ils lui préexistent. En fait, la loi du 22 juillet 2013 ne revient en aucune manière sur le double dualisme de notre système : celui qui repose sur l’opposition / grandes écoles et celui qui oppose les universités aux organismes de recherche. Le résultat de cette situation est que l’université, chargée de former la grande majorité des étudiants, est victime d’une double peine : non seulement ses enseignants disposent de relativement moins de moyens pour former leurs étudiants que les enseignants de classes préparatoires ou des (grandes) écoles [1], mais ses chercheurs ont aussi relativement moins de moyens pour faire de la recherche.
La première question qu’il aurait fallu vraiment se poser, c’est celle de l’efficacité de ce système. Pour ma part, je pense que ce dernier ne fonctionne pas non seulement parce qu’il concentre les moyens sur ceux qui en ont le moins besoin mais aussi parce qu’il conduit à un gâchis dont témoignent les taux d’échec en premières années de licence. En outre, cette situation a des effets tout à fait pernicieux sur la formation des élites. S’il fallait une preuve de l’échec de notre système, il suffirait d’exhiber les récents résultats électoraux qui sont le reflet d’une défiance sans précédent du peuple vis-à-vis de ses élites. En refusant de poser le problème au moment-même où cela était possible, c’est-à-dire aux lendemains d’une victoire présidentielle, le pouvoir socialiste a commis une erreur politique, voire une faute majeure.
D’autres questions ont été esquivées afin de ne pas fâcher les syndicats – et notamment l’UNEF. Celle de la sélection en est une. Le terme de « sélection » est un chiffon rouge dont aucun gouvernement n’ose se saisir depuis 1986. Pourtant, il suffit d’enseigner en première année de licence à l’université pour constater que la majorité des étudiants sont mal préparés à l’enseignement supérieur. Est-ce à dire que ce dernier devrait mieux s’adapter aux bacheliers sortis du lycée ? Sans doute, mais, pour s’adapter, l’université, puisque c’est elle que l’on charge d’assurer la « réussite pour tous », a besoin de moyens et d’étudiants qui puissent s’engager dans leurs études. On ne peut pas prendre en charge des étudiants ayant de grosses lacunes d’expression, par exemple, dans des groupes de travaux dirigés à 30, 40 ou plus. Par ailleurs, une telle prise en charge ne peut être efficace que si les étudiants n’ont pas à travailler une quinzaine d’heures par semaine pour payer leurs études. Ces derniers ne peuvent mener convenablement leurs études que s’ils possèdent les pré-requis nécessaires dont l’acquisition, au lycée, serait une forme de préparation à l’enseignement supérieur.
Très concrètement, puisqu’il ne faut pas remettre en cause le dogme des 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat, n’est-on pas en droit d’attendre d’un lycéen souhaitant s’inscrire en licence d’histoire qu’il ait, par exemple, 12 de moyenne en histoire-géographie et la moyenne en français en première et terminale ? La question de la sélection n’est pas tant d’instaurer une barrière à l’entrée de l’université que de dire aux lycéens que l’on ne choisit pas une formation sans s’être assuré d’en posséder les pré-requis. Cela va au-delà de l’information et de l’orientation dont on feint de croire qu’elles peuvent suffire à résoudre le problème. Se contenter d’un système qui sélectionne a posteriori par l’échec, c’est faire preuve d’hypocrisie et d’irresponsabilité à l’égard de ceux que nous devons former. Ces questions, déjà posées de longue date, la loi ESR n’y apporte aucune réponse concrète. Croit-on que l’usage du numérique va suffire ? Croit-on que la seule réduction du nombre de mentions de licence, tout à fait contradictoire au demeurant avec l’autonomie pédagogique que l’on prétend promouvoir, va lever tous les obstacles ? Il y a de quoi être perplexe.
Splendeurs et misères des COMUE
Abordons maintenant l’un des grands chantiers lancés par la loi du 22 juillet, celui des regroupements d’établissements. Depuis près d’un demi-siècle, la France cherche à remédier à l’éclatement de son paysage universitaire né de l’après-1968 et du plan Université 2000. Vu de l’étranger, on peine à comprendre ce que signifie le chiffre qui, souvent, affuble le nom de certaines de nos universités. Il en va de même pour trouver les raisons qui expliquent pourquoi l’on trouve ici les disciplines que l’on s’attendait à trouver là. Pour pallier cet éclatement furent ainsi créés les pôles universitaires européens en 1991 puis les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) en 2006. Aussi la création des Communautés d’universités et d’établissements (COMUE) s’inscrit-elle dans une démarche assez ancienne mais elle en constitue indéniablement une étape importante
La loi du 22 juillet 2013 donne un nouveau cadre aux regroupements. À côté de la fusion et de l’association, les établissements peuvent choisir de créer des COMUE. Si l’on en croit les intentions affichées lors de l’élaboration de la loi – et pourquoi ne pas les croire ? –, la création de ces nouvelles structures a pour but de rendre les défunts PRES plus démocratiques (en élargissant les conseils d’administration et en dotant les COMUE d’un conseil académique), à améliorer la collaboration entre les membres de chaque COMUE (en faisant de cette dernière le porteur d’un « projet partagé ») et à assurer un meilleur ancrage territorial (les COMUE étant parties prenantes des stratégies régionales d’enseignement supérieur et de recherche). Certains – et j’en fais partie – ont toutefois considéré que les COMUE pouvaient mener à une régionalisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, régionalisation d’ailleurs limitée à la province puisque l’Ile-de-France bénéficie d’un statut dérogatoire quant au « périmétrage » des COMUE. Plusieurs arguments justifient ce point de vue. En fait, la régionalisation existe déjà tant il est vrai que la multiplication des stratégies régionales (stratégie régionale de l’ESR, stratégie régionale de l’innovation dans le cadre du processus de « spécialisation intelligente » impulsé par l’Europe), volet « Enseignement supérieur et recherche » des contrats de projet État-Région) tend à faire des régions des acteurs importants de l’ESR. La question est donc de savoir dans quelle mesure l’existence des COMUE peut renforcer, ou non, cette tendance. La loi du 22 juillet 2013 confie à la région le soin de définir « un schéma régional de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation qui détermine les principes et les priorités de ses interventions. » (Code de l’éducation, L. 214-2). Ce sont ces schémas régionaux que les « contrats partagés » portés par les COMUE doivent prendre en compte. Tout est fait, dans la loi, pour que chaque COMUE devienne l’interlocuteur privilégié, voire unique, de régions qui sont appelées à avoir des prérogatives renforcées en matière d’ESR.
Autre motif d’inquiétude. Lors de la récente préparation de la contractualisation de la vague E, le ministère a clairement demandé aux COMUE concernées, conformément à la loi nouvelle, de coordonner la construction de l’offre de formation. En outre, concernant les masters, il a enjoint les COMUE de ne faire remonter que des mentions uniques à l’échelle du « site ». De fait, la coordination s’apparente à un effort de rationalisation et de réduction des coûts. Bien entendu, cette exigence n’est pas illégitime tant du point de vue de l’enseignant que de celui du contribuable. Comment accepter, en effet, que certains parcours de master comportent moins de cinq inscrits, obligeant parfois les enseignants à faire cours à deux ou trois étudiants ?
Il y a là un vrai problème mais la démarche du ministère n’en est pas moins critiquable d’un triple point de vue. D’une part, elle occulte le fait que jusqu’à la mise en place de la LRU l’ouverture d’une formation nécessitait le feu vert du ministère. Si ce dernier voulait faire la chasse aux formations coûteuses, il pouvait la faire. Mais il est vrai qu’avec la mise en place du LMD en 2002-2003, il a été peu regardant. D’autre part, la démarche ministérielle peut penser que les économies réalisées suffiront à donner des marges de manœuvre financières aux universités. Je pense qu’il n’en est rien pour des raisons d’ordre structurel évoquées plus haut. Lorsque votre masse salariale prend de manière automatique 1 % par an, même si elle est compensée à hauteur de 50 %, il vous faut trouver 500 000 € (pour une masse salariale de 100 millions d’euros). Cela devrait vous conduire à réduire chaque année vos heures complémentaires de 10 000, puis, une fois que vous avez éradiqué les heures complémentaires, à geler plusieurs postes par an ! Enfin, le ministère donne aux COMUE un statut de cost killer, ce qui n’est pas le meilleur moyen de les faire accepter.
Bref, les COMUE cristallisent légitimement toutes les inquiétudes : elles apparaissent comme le cheval de Troie d’une régionalisation, dont on craint qu’elle menace à terme le statut de fonctionnaire d’État (rappelons qu’en 2001, certains centristes s’exprimaient pour que les enseignants constituent une quatrième fonction publique [2], comme un outil de réduction des coûts et une manière de contourner la collégialité universitaire – qui est sans doute le seul pouvoir qui reste aux universitaires.
Reprendre tout à zéro
La meilleure preuve que la loi ESR de 2013 risque de n’avoir été qu’un coup d’épée dans l’eau est la réaction qu’une récente note du think-tank Terra Nova est en train de susciter. Il est curieux de remarquer que le rapport Neuf idées pour redonner confiance aux universités et aux universitaires fait l’objet d’attaques de la part des opposants à la politique actuelle alors même que cette dernière est très fortement critiquée. Le rapport conteste l’homogénéisation des formations, qui dérive, on l’a vu, de la nomenclature des mentions mais aussi le fait que le ministère prétende imposer les modalités de collaboration entre universités (ce qui est précisément ce que les opposants, aussi, contestent). En fait, Terra Nova a gagné le droit d’un procès en ultra-libéralisme en affirmant que l’on devait pouvoir songer à un mécanisme de vérification des pré-requis à l’entrée de l’université ainsi qu’à l’augmentation de droits d’inscription comme source de financement des universités. Pourtant, bien des arguments repris dans la note sont exposés sur la place publique depuis longtemps. L’accès à la licence avait déjà été discuté, par exemple, par les auteurs d’un ouvrage paru en 2010, après le mouvement consécutif à la réforme du statut des enseignants-chercheurs : Refonder l’Université. Pourquoi l’enseignement supérieur reste à reconstruire Il semble bien, que près de quatre ans plus tard, on en soit toujours là.